Accès Humanitaire

    Ce jeudi 1er Octobre 2020, le rapport Mapping de l’ONU totalise 10 ans jour pour jour; depuis sa publication en 2010. Ce rapport documente des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire; commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003.

    Dans cette Tribune que vous propose Laprunellerdc.info, le Professeur Alphonse Maindo revient sur les contours de ce document; qui marque selon lui un tournant historique, un rapport qui dérange et inquiète certains voisins; affirmant qu’il n’y aura pas de deuil sans vérité ni justice et réparation.

    Il y a 10 ans, les Nations unies rendaient public le rapport du projet Mapping qui poursuivait trois objectifs tels que définis le 8 mai 2007 par le Secrétaire lors de son entérinement: i) dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 ; ii) évaluer les moyens dont dispose le système national de justice pour donner la suite voulue aux violations des droits de l’homme qui seraient ainsi découvertes ; iii) élaborer, compte tenu des efforts que continuent de déployer les autorités de la RDC ainsi que du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme.

    Il est impérieux de rappeler que le Président Joseph Kabila avait réservé un accueil favorable et affiché ouvertement son soutien à ce projet devant Louise Arbour, alors Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors de sa visite en mai 2007 en RDC. Dans sa résolution 1794 (décembre 2007), le Conseil de sécurité des Nations Unies avait exhorté les autorités congolaises à soutenir pleinement le Projet Mapping porté par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH).

    Le Gouvernement congolais avait positivement répondu à cette requête onusienne, exprimant à maintes reprises son soutien au Projet Mapping, notamment à travers le Ministre des droits humains dans son allocution à la tribune de la session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans l’est de la RDC en novembre 2008 et par la bouche des Ministres de la justice et des droits humains au cours des différentes rencontres avec le directeur du projet Mapping.

    C’est dans ce contexte que l’équipe des officiers des droits de l’homme a parcouru l’ensemble du territoire de la RDC d’octobre 2008 à mai 2009 afin d’y recueillir des documents et témoignages permettant de répondre aux trois objectifs définis par le mandat. Finalement, en octobre 2010, le Rapport Mapping a été publié par les Nations Unies. Une décennie plus tard, aucune suite n’a été donnée à ce document qui avait suscité beaucoup d’espoirs et d’attentes pour les victimes congolaises. Les OSC, ONGDH et des millions de Congolais l’avaient accueilli avec ferveur et salué sa publication. En quoi ce rapport est-il si important pour les Congolais ?

    Un document qui marque un tournant historique

    De nombreux rapports ont été produits sur les violations des droits et autres crimes graves en RDC, principalement par des défenseurs et des organisations des droits humains. Généralement, ces rapports couvrent une zone géographique ou un secteur d’activités ou un incident grave. Le Rapport Mapping s’en distingue et apparaît comme un document particulièrement important pour quatre raisons. Primo, le Mapping est une initiative unique en son genre dans l’histoire postcoloniale du pays : le premier outil à couvrir à la fois une période assez longue (10 ans) et l’ensemble du territoire national à travers un travail minutieux de collecte des données auprès des témoins et observateurs suivant une méthodologie rigoureuse.

    Secundo, ce document revêt un caractère exceptionnel grâce à son auteur : il est produit par une autorité indépendante qui a établi les faits, leurs auteurs (dont la liste demeure malheureusement encore tenue secrète), les circonstances de temps et de lieu de leurs commissions. En l’occurrence, il s’agit des Nations Unies avec ses experts, donc une autorité peu suspecte d’instrumentalisation des rapports contre tel ou tel autre acteur incriminé. Tertio, ce rapport est une reconnaissance internationale du martyre des Congolais et de l’aspiration des Congolais à la paix, à la vérité, à la justice, à la réparation et à la mémoire des victimes, à la dignité humaine, etc. D’où l’élan d’appropriation collective et individuelle pour écrire une nouvelle page d’histoire.

    Quarto enfin, cet outil incarne, pour les Congolais, l’espoir de voir des poursuites engagées contre les auteurs présumés des crimes pour rompre le cycle de l’impunité qui s’est profondément ancré dans le pays. Malheureusement, 10 ans après, le constat est amer et implacable : rien n’a vraiment changé en matière des droits humains. Les mêmes crimes se poursuivent allégrement sans désemparer, les victimes sont livrées à elles-mêmes sans aucune réparation ni justice, ni même la simple vérité. Pourquoi 10 ans de silence après ce rapport ?

    Un rapport qui dérange et inquiète certains voisins

    Le rapport Mapping semblait destiné au sort commun de beaucoup de rapports des droits humains, celui de passer à la trappe. Pour comprendre une décennie entière de mutisme et d’inaction, il importe de prendre en compte cinq éléments qui soulignent que ce document dérange de nombreux protagonistes tout en en laissant d’autres indifférents. En premier lieu, l’Etat congolais n’a jamais fait de ce rapport son cheval de bataille.

    Et pour cause, l’Etat congolais est fragile et défaillant, sa justice est inapte à poursuivre les auteurs des crimes. Et puis, nombre d’auteurs présumés de ces crimes occupent des postes importants dans les plus hautes sphères de l’Etat (armée, police, services secrets, gouvernement, assemblée, sénat, etc.). Il est improbable qu’ils puissent être poursuivis au regard de leur capacité de nuisance et d’influence dans le pays. Ils ont réussi à étouffer ainsi les grandes voix qui tentent de s’exprimer sur les crimes.

    En second lieu,  le Rapport Mapping a longtemps souffert du manque d’une voix qui porte pour le porter. Il a fallu que le Prix Nobel de la paix 2018, Dr Denis Mukwege, appelle, dans une allocution solennelle lors de la remise de la noble distinction, à mettre en œuvre les recommandations du Mapping. Le 10 décembre 2018, à la tribune depuis Oslo, le Dr Denis Mukwege appelait le monde à sortir le rapport Mapping des tiroirs poussiéreux de New York. Avec le Prix Nobel, il y a un basculement qui s’opère, un mouvement de solidarité nationale et internationale pour obtenir la justice et la réparation pour les victimes ainsi que la poursuite contre les bourreaux.

    En troisième lieu, vient le manque de financement international et probablement de volonté politique. En effet, pour appliquer les recommandations du Mapping, notamment celles concernant la justice transitionnelle, il faut mobiliser des fonds. Et les principaux bailleurs des fonds ne se bousculent pas. Ils sont aux abonnés absents. C’est d’ailleurs pourquoi le texte initial a été édulcoré pour supprimer le crime de génocide congolais de manière à ne pas avoir l’obligation d’agir, d’intervenir pour stopper le génocide. Cette attitude a trouvé un écho favorable auprès des pourfendeurs du Rapport Mapping et de la justice internationale.

    En quatrième lieu, il y a l’action de puissants lobbies qui travaillent à congeler voire à fossiliser le rapport Mapping. Ces lobbies sont mus, pour certains par de gros intérêts économiques et financiers derrière les pillages et trafics des ressources naturelles ayant accompagné ou motivé les crimes décriés ; pour d’autres, ils sont tétanisés par un sentiment de culpabilité par rapport à un des principaux suspects ou accusés, le Rwanda, où les Nations Unies n’avaient pas pu empêcher l’horreur suprême.

    Le gouvernement du pays des milles semble se servir à son avantage de l’impuissance de la communauté internationale à empêcher et à arrêter le génocide pour neutraliser tous ceux qui osent parler. C’est comme s’il avait acquis d’une certaine façon le droit de vie et de mort sur les populations de la région. Même si tel était le cas, pourquoi les Congolais devraient-ils payer pour des crimes qu’ils n’ont jamais commis, de loin ni de près. A moins de leur appliquer la fable de La Fontaine, « le loup et l’agneau ».

    En dernier lieu, on retrouve la résistance de certains pays accusés dans le rapport (Rwanda, Ouganda, Burundi, etc.) et de certains individus soupçonnés d’avoir perpétré ces crimes et assumant des hautes responsabilités politiques et/ou sécuritaires dans les Etats de la région. Ils ont réussi à garder sous le sceau du secret la liste des auteurs présumés des crimes. Depuis quand protège-t-on les criminels au détriment des victimes ? C’est une situation inimaginable et ubuesque où l’on protège les bourreaux au lieu de protéger les victimes ou, le cas échéant, les témoins. Et quand on pense que le conseil des droits de l’homme de l’ONU s’y est résigné, il y a lieu de s’interroger sur la capacité de l’ONU à garantir la mise en œuvre de ses propres instruments juridiques.

    L’impuissance de la puissance multilatérale offusque le bon sens. Heureusement, la Cour internationale de la justice a condamné l’Ouganda à indemniser les victimes de la RDC. Si l’Ouganda paie pour les victimes congolaises, pourquoi le Rwanda ne paierait-il pas pour les crimes commis par ses troupes en RDC quand on sait que ses officiers ont même commandé les forces congolaises, régulières ou rebelles, dont les exactions ne sont pas une exception. Certains observateurs aiment à rappeler l’inopportunité de raviver le rapport Mapping qui aurait perdu son intérêt aujourd’hui. En quoi ces massacres qui remontent, pour certains, à plus de 20 ans résonnent encore aujourd’hui, clament-ils ?

    Pas de deuil sans vérité ni justice et réparation

    Tant que la justice ne sera pas rendue pour les nombreux crimes graves perpétrés en RDC, les massacres continueront résonner fortement dans la mémoire des victimes et à alimenter le sentiment de vengeance. Les cris des victimes ne se transformeront en hymne du souvenir qu’à condition de débuter le travail de justice. Quatre facteurs se conjuguent aujourd’hui pour donner une résonnance soutenue et sans cesse renouvelée à ces crimes remontant parfois à 27 ans pour les plus anciens documentés dans le Mapping. D’abord, les victimes n’ont jamais obtenu ni vérité ni justice ni même réparation. L’impunité s’est installée et fait loi au Congo. Ensuite, les crimes se multiplient et s’étendent, même dans des zones autrefois épargnées à cause de cette impunité garantie aux auteurs présumés. Chaque nouveau crime commis ravive le souvenir des crimes passés, c’est comme si on remuait à chaque fois un couteau dans une plaie.

    Et puis, les Nations Unies ont cédé à la pression de certains Etats, en gardant secrète la liste des auteurs présumés des crimes les plus graves commis en RDC. La liste des auteurs des crimes répertoriés dans le Mapping demeure secrète et confidentielle jusqu’à présent. C’est impensable et intolérable. Et pire, un diplomate en poste à Kinshasa a brisé son devoir de réserve, notamment en niant les massacres perpétrés à Kasika et bien documenté dans le Mapping.

    En voulant tuer les crimes de Kasika, il a trucidé pour la seconde fois les victimes congolaises. Déni de justice doublé d’une négation du crime. Peut-on imaginer un ambassadeur allemand à Tel Aviv nier la shoah ou Auschwitz ? Que se passerait-il s’il le faisait? Il ne serait pas seulement déclaré persona non grata et ennemi de la nation, mais aussi et surtout serait poursuivi pour négationnisme. Les relations diplomatiques seraient rompues entre Israël et l’Allemagne. Cette dernière serait obligée de faire mea culpa publique et solennelle face à un tollé de condamnations unanimes.

    Enfin, il n’y a pas de deuil sans vérité, pas de vérité sans mémoire, pas de mémoire sans reconnaissance, pas de reconnaissance sans justice, pas de justice sans réparation, pas de paix sans réconciliation, pas de réconciliation sans réparation. Le rapport Mapping fait débat aujourd’hui quant à sa finalité et le débat porte particulièrement sur un questionnement : sur quoi doit-il déboucher ? un tribunal pénal international ?

    La justice transitionnelle, une finalité du Mapping ?

    Cela fait bientôt 10 ans déjà que le rapport Mapping moisit dans les tiroirs onusiens. C’est inadmissible car les victimes sont abandonnés sans justice ni réparation. Dès lors, il n’y a pas d’espoir de réconciliation ni de paix durable, surtout quand on sait que les auteurs présumés des crimes documentés dans Mapping par les Nations Unies sont libres et ne sont nullement inquiétés. Pire, ils occupent des plus hauts postes de responsabilité en RDC et dans les pays voisins.

    Ils n’hésitent pas à menacer de mort tout homme de paix qui ose élever la voix pour exiger la justice et la réparation pour les victimes qui ont trop attendu. Le Mapping est appelé à déboucher sur un Tribunal Pénal International ou des chambres mixtes. Ces institutions, aussi efficaces qu’elles soient, ne devraient pas être considérées comme une fin en soi. Elles sont plutôt une voie vers la vérité (judiciaire), la justice, la réparation, le deuil et le début d’une vraie réconciliation. Elles doivent surtout être pensées comme un outil pour assurer la fin du règne de l’impunité.

    En définitive, il me semble que tout le monde a intérêt à ce que la justice soit rendue, même pour ceux qui sont accusés dans le rapport. Rendre justice permet de clore le chapitre des crimes impunis et de passer au suivant. Tant que la justice ne sera pas rendue, nul ne sera en paix, il n’y aura pas de réconciliation. Le cycle de vengeance ne s’arrêtera pas, car les victimes ou leurs proches à qui l’on refuse la justice aujourd’hui continueront à ruminer leur revanche, à cultiver la haine, pire à la transmettre de génération en génération.

    Dans ces conditions, il n’y aura pas de paix durable. Donc, pas de reconstruction durable non plus. L’exemple de l’Allemagne avec la France, notamment devrait inspirer les Etats accusés des violations graves des droits humains en terre congolaise et les exhorter à faire la paix avec la RDC en rendant justice aux victimes congolaises, en réparant les crimes commis.

    Tel est le passage obligé pour une réconciliation entre les nations, entre les peuples, et la coopération. Même ceux qui sont accusés devraient chercher à laver leur honneur en collaborant pour que la justice fasse la lumière sur les rôles et les responsabilités des uns et des autres. Ils peuvent être blanchis par la justice. Jean-Pierre Bemba Gombo, qui semblait condamné d’avance au bénéfice de la présomption de culpabilité, n’a-t-il pas été acquitté par la cour pénale internationale après près de dix ans de détention et de bataille judiciaire ?

    Les bourreaux ne pourront jamais dormir en paix tant qu’il n’y aura pas de justice, surtout que ces forfaits, en tant que crimes internationaux (crimes de génocide, contre l’humanité, de guerre, etc.), sont des crimes imprescriptibles. Autant faire face à la justice une bonne fois pour toutes et s’assurer de son sort plutôt que de vivre dans la peur d’être rattrapés par la justice un jour.  Sauf à expédier tous les Congolais simultanément ad patres, les bourreaux ne finiront pas d’entendre parler d’eux.

    Professeur Alphonse Maindo

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