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    « Levez-vous pour prendre la tête de ce peuple meurtri. Présentez-vous à  l’élection présidentielle de 2023 que vous emporterez haut la main, parce que notre  peuple qui vous appelle est celui qui vous élira.. » c’est par ces mots qu’un Collectif d’intellectuels congolais appelle Denis Mukwege, le Prix Nobel de la Paix à briguer la magistrature suprême de la République Démocratique du Congo. Après avoir peint un tableau sombre du pays et de la classe politique, ces intellectuels insistent: « Votre peuple vous appelle. Ecoutez ses cris de détresse. Que répondez-vous à son  appel? ».

    LaPrunelleRDC vous propose l’intégralité de cet appel au Docteur Mukwege

    « Appel du 30 juin 2022  

    Monsieur le Professeur Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, Cher Compatriote, 

    En ce jour mémorable du 30 juin, nous, intellectuels congolais engagés et dévoués à la  cause de notre pays, vous lançons cet appel solennel pour venir au chevet du grand  malade qu’est devenu notre pays, la RDC. L’heure est très grave. La patrie congolaise  est à la dérive comme un navire sans capitaine en pleine mer agitée. Il est des  circonstances dans l’histoire d’un peuple où le salut d’une grande majorité dépend de la  détermination et de la ténacité d’une infime minorité, voire d’un seul individu. Car dans  ce cas, la force spirituelle compense la faiblesse du nombre et des moyens. En relisant  le testament politique d’un de nos pères fondateurs, Patrice Lumumba, qui s’adressait  aux jeunes générations à travers sa lettre à sa chère Pauline depuis sa prison de  Thysville, une phrase résonne fort à nos oreilles : « Ils ont corrompu certains de nos  compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. » .

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    Le temps est venu de nous mettre debout, de nous mettre en marche pour un Congo  nouveau. Le temps est venu de donner à notre nation sa grandeur, à notre peuple sa  dignité. Le temps est venu d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire. Le temps est  venu pour le Congo d’écrire, par ses dignes fils, sa propre histoire, une histoire de  justice et de paix, une histoire de gloire et de dignité, une histoire de travail et de  sacrifice, une histoire de solidarité entre les nations, entre les peuples, dans  l’affirmation de notre identité nationale et le respect de la souveraineté des peuples. Il  est révolu le temps des complaintes et des lamentations tout comme celui des  hésitations, de la peur et de l’indécision. L’heure est très grave. Le temps est venu,  enfin, de confier notre destin à des mains expertes, à des âmes éprises de justice et  d’humanisme. N’ayons pas peur, le temps est venu pour notre peuple tant meurtri mais  mûri de prendre son destin en main sous un leadership éclairé et de défendre son  indépendance et sa liberté. 

    A la suite d’un combattant de la liberté, Frantz Fanon, qui a écrit « chaque génération  doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission : la trahir ou l’accomplir », nous  vous exhortons solennellement, en ce jour mémorable du 62ème anniversaire de  l’indépendance de notre pays acquise de haute lutte, à découvrir et surtout à accomplir  votre mission avec toutes les personnes de bonne volonté au service de la nation  congolaise. L’état de déliquescence de notre pays témoigne de l’actualité de la pensée  de l’intellectuel américain, Albert Einstein, grand savant et homme de foi comme  vous : « Le monde sera détruit par ceux qui savent mais ne font rien ». Et comme vous  l’avez maintes fois répété, nul ne peut prétendre qu’il ne savait pas, le temps est ainsi  venu de choisir de faire quelque chose pour remettre le pays sur le rail et le peuple au  travail. Il faut arrêter le naufrage collectif. 

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    Depuis le massacre des malades que vous soigniez à Lemera, plus de 25 ans se sont  écoulés. Et durant toute cette période, la République Démocratique du Congo saigne telle une fontaine intarissable. De l’est à l’ouest, du nord au sud, chaque jour qui passe,  des populations congolaises sont achevées à la hache, à la machette, à la baïonnette et  à la kalachnikov quand ce n’est pas par la faim ou la maladie. Des centaines de milliers  de femmes sont violées et détruites, des millions de Congolaises et de Congolais sont  des déplacés, réfugiés dans leur propre pays et rien ne semble pouvoir arrêter cette  croisade criminelle de certains pays voisins contre notre peuple. Ni les dénonciations,  ni les multiples accords et encore moins les manifestations de protestation ne semblent  mettre fin au génocide contre notre peuple et au pillage de ses ressources naturelles.  Les rares fois que les médias font mention de la tragédie congolaise, la communauté  internationale détourne son regard, chouchoutant des criminels qui sont devenus leurs  partenaires privilégiés comme pour nous défier. Le règne de l’impunité fait que les  agresseurs et leurs complices nationaux se sentent autorisés à commettre chaque jour plus de crimes que dans le passé. 

    Pour endiguer ces crimes qui endeuillent notre pays sans discontinuer, nous avons eu  le tort de compter sur des autorités qui sont de mèche avec nos agresseurs et qui passent  leur temps à trouver les moyens de plaire à ces derniers. Le seul horizon que nos  gouvernants nous proposent est celui de la sujétion à l’ennemi, la servitude volontaire  à l’égard de nos bourreaux. Le grand Congo défiguré et humilié prête le flanc à des  pays sans envergure, au grand dam d’un certain nombre d’entre nous. La RDC est  devenue une jungle où les agneaux se font égorger par les fauves pour en tirer des  dividendes. Or, comme le dit Alexis de Tocqueville, « Sans respect des droits, il n’y a  pas de grand peuple ; on peut presque dire qu’il n’y a pas de société ; car qu’est-ce  qu’une réunion d’êtres rationnels et intelligents dont la force est le seul lien ? » 

    Le degré de décrépitude de notre pays a dépassé tout ce que nous pouvions imaginer.  Au plan politique, nous avons la désagréable impression que les dirigeants ne sont là  que pour piller le pays pour leur propre compte et celui de leurs familles. Au plan  sécuritaire, la RDC est une véritable passoire dans laquelle n’importe quel individu,  n’importe quel groupe armé ou mafieux, n’importe quel Etat téméraire peut pénétrer et  y opérer à sa guise soit pour exploiter nos richesses du sous-sol, soit pour tuer ou pour  violer. La population est livrée à elle-même et l’armée qui compte de vaillants  combattants est continuellement trahie et dépenaillée à cause de la rapacité et de la  corruption des dirigeants politiques et militaires irresponsables qui détournent jusqu’au  solde des hommes en arme et parfois revendent le matériel de défense mis à leur  disposition. Au plan économique, ni la ménagère, ni le petit commerçant ne se retrouve avec une monnaie instable et une inflation toujours galopante. Malgré les scansions du  pouvoir, les investisseurs manquent cruellement à l’appel pour des raisons liées à  l’insécurité et à la corruption généralisée des institutions de l’Etat. Au plan social, le  chômage est devenu la règle et l’emploi l’exception. Dans une ville comme Kinshasa,  quatre personnes en âge de travailler sur cinq sont sans emploi. Nos jeunes diplômés,  désœuvrés, en sont réduits à végéter ou à revendre des unités d’appels téléphoniques  dans nos villes ou se vendre aux chefs de guerre dans nos campagnes. Ils se retrouvent  sans aucune perspective après leurs études et les centaines de millions de dollars qui  devraient être affectés à la création d’emplois finissent dans les poches des dirigeants politiques ou dans leur dotation en véhicules tout terrain. Les routes sont devenues des  pistes de gibier en forêt. Aujourd’hui, le seul mot qui soit à la hauteur de la définition  de la situation de notre pays c’est le chaos. 

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    Le moment est décisif. Nous avons l’opportunité soit d’accomplir notre mission de  sauver le Congo, soit de la trahir en laissant notre pays à des mains inexpertes pour ne  pas rappeler un champion de la liberté, Frantz Fanon. Or, pour parler comme Théodore  Roosevelt, à pareilles circonstances, la meilleure chose que nous puissions faire c’est  de prendre la bonne décision ; en second lieu, c’est de prendre la mauvaise décision et  la pire des choses c’est de ne rien faire. Saurons-nous, dans ce contexte, entendre l’appel  de Patrice Emery Lumumba qui a dit : « Chaque Congolais doit accomplir la tâche  sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans  dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance  il n’y a pas d’hommes libres. » ? 

    Nous reconnaissons que vous avez largement rempli votre mission, parce que nous  sommes les témoins oculaires de votre humanité et de votre dévouement en faveur des  victimes des atrocités commises à l’encontre du peuple congolais. Vous portez votre  voix haut et fort pour que la justice se penche enfin sur les crimes commis au Congo  ces 25 dernières années. Vous êtes devenu le héraut du Rapport Mapping et vous ne  cessez d’interpeller la communauté internationale et l’Etat congolais sur les  conséquences néfastes de l’impunité. Mais jusqu’ici nous n’observons aucune réaction  significative de quelque Etat que ce soit.  

    Notre bon Docteur Mukwege, 

    Votre peuple est chosifié et manque cruellement de leadership capable de le sortir du  bourbier dans lequel il se vautre depuis trop longtemps, faisant les gorges chaudes de  ses détracteurs. Nous en avons assez d’être conduits par des parvenus ou des personnes qui, n’ayant rien réalisé dans leur propre parcours de vie, recherchent le pouvoir pour  obtenir, par la corruption, le vol, la ruse et la violence, ce qu’elles n’ont pas réussi à  avoir par le travail et par les études.  

    Nous avons besoin d’une personne d’envergure internationale, à la carrure d’un Chef  d’Etat, à la probité morale reconnue, résolue, ayant une vision de grandeur et de dignité  pour notre pays et aimant passionnément les Congolais. Car oui, le Congo a beaucoup  d’amis à cause de ses immenses ressources, mais le monde tourne le dos à la tragédie  que subissent les Congolaises et les Congolais. Aujourd’hui, il est incontestablement  établi que vous êtes l’homme qu’il nous faut à la fonction de Président de la République Démocratique du Congo. C’est avec vous que nous, Congolaises et Congolais,  aimerions retrouver la splendeur de notre pays, rétablir son lustre et son prestige,  recouvrer sa souveraineté et sa respectabilité, assurer la paix et une prospérité partagée.  Bref rejoindre sa vocation et son destin de grandeur. 

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    Vous êtes le meilleur d’entre nous. Réunis en collectif d’intellectuels congolais, nous vous faisons parvenir le cri de la femme apeurée dans le Masisi qui tente de se  soustraire à la soldatesque rwandaise qui saccage cette région verdoyante. Nous vous  faisons parvenir les cris des femmes, des enfants et des vieillards de Beni et de Lubero  transis de peur à chaque nuit, craignant d’être égorgés avant l’aube par les hordes de  l’armée ougandaise qui ratissent cette belle région. Nous vous rappelons cette femme  attrapée par les assaillants transpercée de balles à bout portant avec son bébé dans le  dos ! Et ces nourrissons écrasés au pilon ! Et ces femmes enceintes éventrées sans autre  forme de procès ! Et ces autres enterrées vivantes ! Et ce soldat congolais, attaché,  vivant et rôti à petit feu par des soldats rwandais goguenards et fiers de leur œuvre ! 

    Notre bien aimé Docteur Mukwege, Prix Nobel de la Paix, 

    Trop c’est trop ! Ecoutez tous ces cris de détresse qui montent depuis nos campagnes,  les coins les plus reculés de notre pays, nos écoles et universités, nos villes et  bidonvilles ! Levez-vous pour prendre la tête de ce peuple meurtri. Présentez-vous à  l’élection présidentielle de 2023 que vous emporterez haut la main, parce que notre  peuple qui vous appelle est celui qui vous élira. Ce peuple se tient prêt comme un seul  homme à vous emboîter le pas sur le chemin de la restauration de notre Chère Patrie rongée par le manque de vision et de leadership, le tribalisme, le clientélisme, la  tentation séparatiste menaçant la nation jusque dans ses fondements, laminée et écumée  par les agressions extérieures. Nous savons qu’il existe mille et une raisons pour que  vous ne sortiez pas de votre vocation de soignant. Beaucoup ne veulent vous voir que  dans votre étoffe de médecin et vous déconseilleront vivement de vous mêler de la  politique pour garder immaculée votre blouse blanche de médecin, votre toge de Prix  Nobel. Durant les heures sombres où les Juifs étaient traqués par le Troisième Reich,  le pasteur Dietrich Bonhoeffer a pu dire que « seul celui qui se bat pour sauver des  Juifs avait le droit de chanter le grégorien ». S’agissant de la situation de la RDC, nous  disons qu’en cette heure grave de l’histoire de notre pays, ne pas entendre l’appel  désespéré de votre peuple ternirait à tout jamais votre bel habit de Prix Nobel et de  toutes les distinctions que vous avez engrangées au cours de ces dernières années. 

    Votre peuple vous appelle. Ecoutez ses cris de détresse. Que répondez-vous à son  appel? 

    Très haute considération.

    Les signataires 

    Monsieur Roger Buangi Puati, Pasteur 

    Monsieur Alphonse Maindo, Professeur des universités 

    Monsieur Jean-Claude Maswana, Professeur des universités 

    Monsieur Bily Bolakonga, Professeur des universités

    Monsieur Michel Bisa, Professeur des universités

    Monsieur Fraternel-Divin Amuri, Professeur des universités

    Madame Eveline Ombeni, Avocate 

    Monsieur Claude Mwangelu, haut cadre d’entreprise

    Monsieur Jean-Bosco Kongolo, Juriste et criminologue

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