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    Le 29ème épisode de la chronique « Mon Point de vue » revient sur la problématique de justice populaire qui endeuille régulièrement la ville de Bukavu. Dans le dixième numéro de « Mon Point de vue » le Pasteur Nicolas Kyalangalilwa avait déjà dénoncé cette situation malheureuse de justice populaire qui devient préoccupante. Ici, il estime que nous sommes tous coupables.

    Le fléau Justice populaire : nous sommes tous coupables !

    Le samedi 02 avril 2022, un jeune étudiant, Monsieur Jean Paul Rusumba, inscrit en troisième année de graduat en droit à l’Université Officielle de Bukavu est lynché par la brigade universitaire. Il succombera de ses blessures. La même nuit 4 voleurs sont arrêtés et lynchés par la population, ils succomberont à ce lynchage.

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    Les réseaux sociaux se sont enflammés et irrités par la mort du jeune étudiant.

    Tout le monde y a élevé la voix pour condamner ce meurtre odieux. Et cela n’est que juste. Les auteurs de ce forfait doivent être sérieusement sanctionnés. Mais personne n’ose dire que c’est cette même population qui a légitimé le phénomène de Justice populaire qui a emporté ce jeune homme.

    Déjà au mois d’octobre 2021, ces jeunes hommes membres de cette bridage universitaire, étaient adulés par toutes les couches sociales du Sud-Kivu, même par l’autorité provinciale, comme des citoyens responsables et des héros, pour avoir entre autre déjoué une attaque sur la ville de Bukavu en arrêtant des hommes et des femmes possédant des effets de guerre.

    A ce moment-là, tout le monde avait préféré fermer l’œil sur cette milice, (puisque c’est la définition qui convient), qui faisait la loi au campus de l’UOB. Il a fallu que quatre mois plus tard, ces jeunes hommes, commettent l’irréparable, le meurtre de Mr. Jean Paul Rusumba pour que tout le monde se réveille et que les héros d’hier deviennent finalement aux yeux de tous, les vilains qu’ils ont toujours été.

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    Il en va donc de la responsabilité de tous. Oui, ces jeunes hommes ont commis ce meurtre et en sont pénalement responsable. Mais la société toute entière est moralement responsable de ce meurtre. Elle aura été complice car elle leur avait, en son temps donné une légitimité qui a conduit au désastre auquel nous avons assisté lors de l’assassinat de l’étudiant Jean Paul Rusumba. 

    Ce point est d’autant important à noter en cette période car de plus en plus, pour assurer leur sécurité, les populations font recours à des groupes des jeunes dénommés « patrouilleurs » et cela à cause des failles évidentes observées dans le chef de nos services de sécurités et dans notre système judiciaire.

    La mort des quatre présumés voleurs à mains armés est une illustration de ce phénomène. Personne n’a condamné cette exécution extra-judiciaire. Tout le monde l’a applaudi. Et la vie a continué. La vie humaine a perdu sa sacralité. La mort d’une personne est devenue un fait banal si pas anodin.

    Mais qu’en sera-t-il si un de ces jours ces jeunes, comme le bridage universitaire de l’UOB, enivrés par le succès, la légitimité et la popularité dont ils jouissent, s’attaquaient à des paisibles citoyens ? Ou alors manipulés par un politicien véreux, se transformaient en une milice et semaient la panique et la désolation dans la ville ? Ces cas sont légion dans notre province.

    Des groupes des jeunes s’élèvent pour entre autres défendre leurs village ou entités, et finalement finissent par en devenir les prédateurs. Des « local défense » comme on les appelle qui finalement deviennent des « défenseurs de la patrie ».

    Je suis conscient qu’il s’agit ici d’un débat très complexe et compliqué. Je sais que la réponse n’est pas aussi simple que l’on aimerait qu’elle soit. Mais je sais aussi que ce qui se passe, loin d’être une panacée, est une recette pour une déstabilisation continue de la ville de Bukavu et de la province du Sud-Kivu, si pas du pays et de la sous-région.

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    Nous sommes en train d’élever et de nourrir dans notre arrière-maison, l’animal qui nous ôtera la vie. Il est temps que les responsables civilo-militaires, les autorités judiciaires, la Société civile et les leaders d’opinion, dénoncent et mettent fin à ces phénomènes des milices.

    Il est temps que les autorités assument leur mandat constitutionnel et régalien d’assurer la sécurité des populations et de leurs biens. Il est temps que la vie humaine redevienne sacrée et digne de protection quelles que soit les circonstances. C’est cela qui fait la dignité et constitue l’âme d’une société. 

    Les autorités (locales, provinciales et nationales) devraient se pencher sur cette question avec la plus grande attention avant que ce phénomène qui est déjà répandu ne s’installe en norme acceptée au sein de la population. Le gouvernement au travers le ministère de l’intérieur (Police) ainsi que celui de la justice (parquet et magistrats) devra tout mettre en œuvre pour regagner la confiance de ceux sous sa responsabilité. 

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    La Société civile devra aussi sensibiliser les populations à s’abstenir de se faire justice et décourager les auteurs/instigateurs de ces exécutions extra judiciaires.  Seule une meilleure confiance et cohésion entre les gouvernés et les gouvernants pourra aider à éradiquer ce phénomène qui, souvent, affecte des personnes innocentes. 

    Cette tache revient à nous tous. Individuellement (et collectivement) nous devons prendre cet engagement à ne pas nous faire justice. Qui sait un jour vous pourriez aussi en être victime ?

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    Et avant de passer un jugement quelconque sur mes propos ou de blâmer le système, imaginez un peu qu’un jour vous vous retrouvez accusé de quelque chose que vous n’avez pas commis simplement parce que vous vous retrouviez au mauvais endroit au mauvais moment. N’aimeriez-vous pas avoir la chance de vous expliquer devant un juge ou quelqu’un qui vous aiderait à éclaircir les choses ? 

    Rév. Nicolas Kyalangalilwa
    Acteur de la Société Civile
    A Propos de « Mon point de vue » 
    « Mon Point de vue » est une chronique d’analyse de l’actualité provinciale, nationale et régionale animée par Nicolas Kyalangalilwa, célèbre, fervent acteur de la Société Civile et diffusée sur la radio Jambo FM émettant sur 92.0 MHz à Bukavu au Sud-Kivu. Elle est diffusée tous les lundis, jeudis et dimanches à 20 heures 15. La rediffusion de ces épisodes se fait les mardis, vendredi et lundi à 8 heures du matin. LaPrunelleRDC vous les proposera également en écrit et en audio.
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