Accès Humanitaire

    Un fœtus a été retrouvé mardi 18 Janvier 2022 dernier, jeté dans le collecteur Kawa, près de la place de l’Indépendance de Bukavu. Il avait environ 7 mois, selon le Média Kivu Amani et serait le fait de l’avortement. Cette situation relance le débat autour de la légalisation de l’avortement sécurisé.

    Selon les défenseurs des droits sexuels et reproductifs de la femme, ce phénomène pourrait essentiellement résulter de l’ignorance du droit à l’avortement dont disposent les femmes en RDC, dans des circonstances bien définies. 

    Dans une interview accordée à laprunellerdc.cd ce jeudi 20 janvier 2021 à Bukavu, Agnès Sadiki, membre de la Coalition 14, indique que la ratification du Protocole de Maputo par la RDC et sa publication dans le Journal officiel de la RDC en mars 2018, ouvre désormais le droit à l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol d’inceste, et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère, ou la vie de la mère ou du fœtus.

    Mais selon elle, ce texte demeure presque inconnu, alors qu’il est une réponse « directe » à ce phénomène de fœtus retrouvés jetés.

    «C’est trop dommage, et ça démontre à suffisance que le protocole de Maputo n’est pas encore connu par nombreuses personnes, en commençant par les femmes et les jeunes filles, mais aussi l’ensemble de la population. Parce que dans le protocole de Maputo, même si les gens l’interprètent mal, de leur manière, par rapport à l’avortement sécurisé et médicalisé, mais c’est ce protocole qui est une réponse directe à ces genres de problèmes.  Pourquoi je dis que c’est une réponse directe, c’est parce que dans le protocole de Maputo, ont dit que quand une femme ou une fille sont en face d’une grossesse non désirables, qu’elle a peut-être eu par violence sexuelle suite à l’inceste, il a été engrosser par son propre père, son propre père, et bien ce protocole lui donne cette possibilité de pouvoir mettre fin ou d’interrompre cette grossesse. Parce que d’abord, elle nuit à sa vie non seulement sociale, parce qu’avoir un enfant avec son propre père ou son frère, vous savez ce que ça fait dans notre société. Mais aussi avoir un enfant que vous ne connaissez pas son vrai père. Ce sont des grossesses qu’on a à travers les violences sexuelles auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure. C’est tout ça que le protocole de Maputo sécurise, et ça sécurise non seulement la victime, c’est-à-dire que la femme qui a avorté, mais aussi ça sécurise le professionnel médical qui a mis fin à l’évolution de cette grossesse-là,» déclare-t-elle.

    La peur d’être arrêtée

    Agnès Sadiki fustige le fait que des femmes et des filles ont peur d’être arrêtées si elles déclarent qu’elles ont besoin de procéder à l’avortement, alors qu’elles sont protégées par le Protocole de Maputo.

    «Il y a des gens dans la communauté qui se cachent derrière les lois congolaises. Mais notre pays, la RDC a ratifié le protocole de Maputo, et quand c’est déjà ratifié, ce texte-là international est déjà supérieur à nos textes, à nos lois au niveau national. C’est pour dire que les professionnels de la santé, et les victimes elles-mêmes, dont les femmes et les jeunes filles, elles sont toutes protégées par cette loi qui est le protocole de Maputo. Il y a cette ignorance qui constitue ce blocage, et qui crée encore des victimes. Ces fœtus-là qui se retrouvent dans une rigole, et tant d’autres qui sont dans des fosses septiques, dans des toilettes. Nos toilettes sont devenues des cimetières, c’est chaque jour qu’on assiste à des choses comme ça, pourquoi ? Parce qu’il y a l’ignorance de ce protocole. Tout le monde a peur que si je l’annonce, ou si je vais à l’hôpital, je serais victime d’une arrestation. Pourtant c’est faux,» rassure-t-elle.

    L’ancienne Ministre provinciale au Sud-Kivu précise que le Protocole de Maputo ne vient pas encourager les femmes à se débarrasser de la grossesse, mais plutôt protéger les vies de celles qui se retrouvent dans les conditions admises. 

    «Ce n’est pas parce qu’on veut seulement se débarrasser d’une grossesse, on se réveille le matin, on dit non je ne veux plus de grossesse, qu’on va vous accorder le service ayant trait à l’avortement sécurisé, non. Il faut que ça soit prouvé par des témoins, des personnes, que cette grossesse vous l’avez eu dans les cas repris dans le protocole de Maputo, et là vous avez toute la sécurité. Le problème, c’est qu’il y a manque de vulgarisation de ces textes, qui sont les nôtres. Parce que notre pays l’a domestiqué déjà. Je salue le travail fait par différents médias sur la question, même si c’est sporadique. Et donc c’est ici l’occasion de féliciter laprunellerdc.cd pour cette initiative, à pouvoir parler de la question de l’avortement. Mais également une occasion pour moi d’appeler tout le monde à la mobilisation autour de ce protocole de Maputo,» exhorte-t-elle.

    Lire aussi Bukavu: lancement de la campagne « Parlons avortement » pour diminuer le taux d’avortements clandestins

    Agnès Sadiki appelle la population du Sud-Kivu à cultiver une curiosité positive, afin de savoir ce qui est permis ou non en matière d’avortement en RDC, pour définitivement mettre fin aux avortements clandestins qui continuent d’être rapportés.

    «La communauté qui n’est pas curieuse, qui ne cultive pas la curiosité positive comme je peux dire. La curiosité positive pour savoir qu’est-ce qui nous est permis, qu’est-ce qui nous est interdit. Il y a aussi des professionnels de la santé, et les femmes elles-mêmes, qui ne vulgarisent pas aussi les lois par rapport à ça. Je leur demande d’abord d’avoir une curiosité positive, de pouvoir consulter nos lois. Et en cas d’espèces d’aller vers les hommes et des femmes de loi, afin de bénéficier et de jouir de ces droits-là. Parce que celle qui s’est débarrassé de ça, on ne pouvait pas retrouver ce fœtus dans la rigole. Et on ne sait pas l’état dans lequel la femme se trouve aujourd’hui. Peut-être qu’elle court encore des risques après son avortement alors qu’on pouvait bien la sécuriser, lui donner des soins relatifs à l’avortement et continuer la vie,» indique-t-elle.

    D’autres défenseurs des droits de l’homme n’hésitent pas à soutenir dans n’importe quelle circonstance l’Interruption volontaire de la grossesse.

    Protocole de Maputo

    Pour rappel, l’Union Africaine a adopté en juin 2003, le Protocole à la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, relative aux droits de la femme en Afrique, à Maputo (Mozambique). L’objet de l’adoption de ce protocole, appelé communément protocole de Maputo, est de contribuer à la réduction des effets de l’avortement non sécurisé, et de promouvoir les droits des femmes en Afrique.

    Ce Protocole de Maputo, en son article 14, garantit le droit de la femme à la santé sexuelle et reproductive; et demande en particulier aux États africains d’appliquer les mesures appropriées pour permettre l’avortement médicalisé dans certaines circonstances (viol, inceste, ou autres complications de la grossesse).

    En 2008, la RDC a ratifié ledit protocole, qui a été publié au Journal Officiel en 2018. Mais le pays tarde à modifier sa législation nationale qui demeure contraignante, pour prendre en compte cette dimension.

    Museza Cikuru

    Share.

    Un commentaire

    1. Pingback: Bukavu : une mère met au monde et abandonne son enfant à Kimuti - La Prunelle RDC

    Leave A Reply

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.