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    Les relations entre la RDC et le Rwanda ne sont pas au beau fixe. Vendredi 31 mai dernier, la RDC a mis en garde Kigali pour son probable soutien aux rebelles du M23, actifs dans le Nord-Kivu. Dans cette tribune que vous propose Laprunellerdc.info, l’analyste indépendant Jean-Bosco Muhemeri revient sur la culture du silence qu’avait déjà adoptée le pouvoir en place, depuis des années d’agression présumée du Rwanda contre la RDC.

    De la culture du silence à la conduite réactive du Congo 

    Le Conseil Supérieur de la Défense de la RDC vient d’enclencher un basculement de la posture diplomatique du Gouvernement, longtemps confiné dans un mutisme pitoyable.

    Jamais un pays n’aura affiché autant de soumission comme la RDC face à un État ennemi.  Le Rwanda s’est tout permis. Le Rwanda a fomenté des rébellions, entretenu des groupes armés, installé des réseaux de contrebande minière, pillé les bois, massacré les réfugiés hutus et congolais… Le Rwanda a tout osé ! Au point que le chef de l’État rwandais, parlant à son peuple pour le rassurer a dernièrement lancé plus ou moins ces propos surréalistes : « notre doctrine de défense consiste à aller vers la source de feu, au Congo. Cela nous épargne des casses et morts collatérales chez nous. Le théâtre de combat dans un petit pays comme le nôtre ne se conçoit pas alors que nous sommes voisins d’un pays spacieux, propice aux batailles aisées ».

    Seul ce discours en lui-même est révélateur du mépris que le régime de Kigali a à l’égard de la dignité des populations congolaises. Ce discours indique la volonté belliciste du régime de Kigali, décidé à œuvrer pour la désorganisation de l’État congolais le plus longuement possible.

    Ce discours a levé le bouclier en RDC. « Trop c’est trop » ont crié les jeunes excédés. Loin de penser qu’il s’agirait d’une expression de l’émotion, la réaction de la population dénote d’une certaine exaspération. Les congolais veulent entendre leur Gouvernement rompre avec la tradition du silence.

    En effet, après son discours, Kagame n’a pas manqué d’alibi pour larguer ses troupes sur le territoire congolais. De la parole à l’acte, il faut impressionner le peuple rwandais chatouillé par le mythe de la puissance. Le masque habituel M23, n’a pas servi longtemps. L’armée rwandaise a été démasquée.

    Kinshasa qui n’a pas anticipé l’escalade, se trouve pris au piège. Il réagit sur influence de Kigali. Tshisekedi décide alors d’aller plus loin que d’habitude.  Diplomatiquement, le ministre des affaires étrangères appelle l’Ambassadeur du Rwanda pour contester et mettre en garde. Économiquement, la compagnie Rwandair est interdite d’opérer sur le territoire national. Militairement, le FARDC sont instruits de nettoyer les zones des combats. Stratégiquement, le M23 est déclaré mouvement terroriste inéligible au processus DDRCS en cours de négociation avec la facilitation du Kenya. Faible dira-t-on !

    Ces mesures qui soulèvent des controverses quant à leur efficacité, ont le mérite d’exister. C’est la première fois, depuis plus de deux décennies, que Kinshasa affiche sa sensibilité aux égarements géopolitiques rwandais. L’appétit vient en mangeant. Les éléments FARDC au front n’attendent plus s’arrêter aux limites de nos frontières. Ils brûlent d’envie de pénétrer dans les sanctuaires rwandais du M23.

    Les troupes au front ont accueilli positivement le retournement diplomatique de Kinshasa. Un pan entier des troupes au front ont le moral haut et veulent désormais en découdre avec le Rwanda. Les jeunes du Nord-Kivu ont manifesté leur exaspération. Ils ne demandent plus qu’un mot d’ordre de mobilisation massive des forces vives pour rompre avec les cycles d’humiliation de toute une génération. C’est ici que Kinshasa doit rassurer et apaiser. Ne pas réagir mais préparer plutôt une action future. C’est plus intelligent.

    Le militarisme rwandais comme doctrine de défense a ses limites. Tout analyste stratégique peut deviner que la posture rwandaise est suicidaire. L’âge d’or de la diplomatie de levier axée sur le génocide est révolu. Les dilemmes existentiels auxquels le Rwanda fait face ne peuvent pas permettre à son État de soutenir une longue guerre contre la RDC, en dépit de l’embargo sur les armes lui imposé par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

    Toute forme d’invasion qui aurait pour but de mettre la main basse sur les ressources naturelles du Congo pour développer la capacité de mener une longue guerre aboutirait inéluctablement à l’apocalypse.  Ce serait du gâchis, avec à la clé, une gigantesque scène d’horreurs, une bataille meurtrière, des massacres civils. Au bout de tout, le Rwanda ruiné, dépeuplé et exsangue demeurerait aux côtés d’un Congo pillé certes, démoli et boiteux mais en marche. Rien ne garantit que les dirigeants actuels en sortiraient indemnes, emportés par des mouvements internes ou des trames externes.

    Kinshasa est averti. Le seul langage à utiliser pour recouvrer une coexistence civilisée dans la Région est celui de la fermeté. Le Gouvernement doit totalement investir dans l’édification d’une armée républicaine, professionnelle, avec des officiers loyaux dans la chaîne de commandement, débarrassée des agents de la cinquième colonne. C’est à ce prix que les relations transnationales entre nationaux rwandais et nationaux congolais vont être construites selon un autre modèle de co-prospérité économique et écologique adapté à cette région trouble.

    Félicitations Kinshasa pour le pas franchis mais, désormais il faut aller plus loin : poser des actes concrets qui désillusionnent ceux-là qui croient à la faillite consommée et éternelle de la RDC.

    Jean-Bosco Muhemeri

    Analyste indépendant de la Géopolitique régionale

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