Accès Humanitaire

    Samedi 06 mars 2021, la toile s’enflamme au Sud-Kivu. La cellule de communication du Gouvernorat de province vient de publier, tambour battant, une annonce sur la signature de « Plusieurs contrats pour la modernisation des routes, 362 kilomètres sur les axes Bukavu-Shabunda, Bukavu-Walungu, dans la ville de Bukavu et à Idjwi ». Le projet sera financé à hauteur d’une bagatelle de 680 millions de dollars américains pour une province dont le budget de l’exercice 2020 a été exécuté à environ 70 millions de dollars américains. Ce qui signifie que les contrats portent sur un montant égal à près de 10 fois le budget annuel de la province.

    Etablissant un petit parallélisme avec le budget du pouvoir central de l’exercice 2020 qui est d’environ 5 milliards, tels contrats vaudraient pour le pouvoir central 50 milliards de dollars américains, note Me David Ndagano. Vu sous cet angle, il devient aisé de comprendre pourquoi il est légitime pour l’opinion de se pencher davantage sur ce sujet : S’agit-il réellement des contrats ou juste un coup de théâtre politique ? De quand date la procédure ainsi couronnée ? Quelle est cette société qui a remporté ce marché ? Y a-t-il eu appel d’offres ? Que gagne la province dans ces contrats ? D’où la province tirera les ressources pour financer ce projet, vu que ses agents accusent plus d’une année d’arriérés de salaires ? Quel en est réellement le contenu ? Que dit la loi en la matière et quelles conséquences juridiques y sont liées?

    Une avalanche d’interrogations pertinentes, de quoi faire jaser les internautes, de quoi faire réfléchir les intellectuels et la société civile, curieux d’en savoir plus sur ces contrats tombés comme par baguette magique. La spontanéité avec laquelle leur signature a été annoncée a choqué plusieurs habitants du Sud-Kivu, étant donné le montant astronomique en jeu. Il est connu des initiés que les contrats de ce type sont fastidieux, font appel à une grande ingéniosité, exigent une grande participation sociale et prennent des années à se préparer.

    Mais qu’est-ce qu’un contrat de partenariat public-privé et pourquoi y recourir ?

    Le contrat de partenariat est un mode de financement des infrastructures et de gestion des services publics en vogue à travers le monde. Il a été mis sur pied pour répondre au besoin criant du secteur public dans le financement et la gestion des infrastructures socio-économique de grande importance.

    En pratique, écrit-il, l’Etat, la province ou l’Entité territoriale décentralisée confie la charge à un opérateur privé qui s’engage à financer la conception, la construction, l’entretien et la gestion d’une infrastructure comme une route à péages, une autoroute, une centrale hydroélectrique, un réseau de distribution d’eau, des rails, des ports, aéroports, hôpitaux,…En contrepartie, l’Etat cède à l’opérateur privé une partie ou toutes les recettes résultant de l’utilisation de l’ouvrage par les usagers pour une longue période. En réalité, il s’agit pour l’Etat de céder des revenus qui lui reviendraient en contrepartie du financement et du service assuré par le partenaire privé.

    Ce mode diffère des modes classiques de passation des marchés publics où l’entité publique finance toutes les étapes de réalisation des ouvrages alors que l’opérateur privé apporte son expertise contre rémunération. Une fois l’ouvrage achevé, il est remis à l’autorité publique qui en a fait la commande pour assurer sa gestion.

    Au regard des montants qui sont en jeu dans le financement des partenariats public-privé et de l’importance socioéconomique des infrastructures concédées, la loi fixe des conditions très rigides allant de la programmation, la conception, la publication à la passation et la mise en œuvre des projets.

    Lire aussi: Sud-Kivu: des interrogations sur la signature des contrats de 680 millions de dollars entre la Province et la société Jin Jiang

    Parmi les conditions cruciales, on peut noter : la transparence dans le processus.

    A la lecture de l’article 9 de la loi, il dit trouver ce qui suit : « La transparence dans les procédures de partenariat public‐privé se traduit notamment par :
    • la diffusion suffisante et largement à l’avance des besoins par l’autorité contractante, de façon à garantir l’accès au contrat de partenariat public privé du plus grand nombre de candidats ;
    • la possibilité de prendre connaissance des règles effectivement appliquées à travers des textes clairs, y compris l’usage de documents standards, qui facilitent le contrôle a priori et a posteriori du respect de ces règles ;
    • l’ouverture publique des offres et la publication des résultats qui permettent le contrôle de l’impartialité des procédures d’attribution des contrats, le droit de recours en cas de non‐ respect des règles d’octroi et d’exécution du contrat ;
    • le bannissement de toute forme de fraude et de corruption dans l’octroi et l’exécution du contrat ».

    Et pour garantir cette transparence, le contrat de partenariat public‐privé est conclu par appel d’offres. Cela appelle à une publicité très large en vue de garantir la concurrence.

    La publicité est faite par insertion, dans les mêmes termes, dans la presse locale, nationale ou internationale ou sous mode électronique, selon un document modèle qui en fixe les mentions obligatoires. Cette obligation concerne également les avis de pré‐qualification.

    L’absence de publicité entraîne la nullité de la procédure.

    La conclusion du contrat de partenariat public‐privé est soumise aux préalables ci‐après :

    • l’identification du projet et la réalisation d’une étude de faisabilité ;
    • l’évaluation de l’opportunité ;
    • l’intégration des besoins dans le cadre d’un programme de développement et d’une
      programmation budgétaire ;
    • la planification d’un processus de mise en concurrence ;
    • le respect des obligations de publicité et de transparence ;
    • le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.

    Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse est cruciale car il permet à l’Etat de sélectionner l’opérateur qui offre la meilleure qualité de service au meilleur prix. Le législateur insiste sur une préparation méticuleuse du projet par des études juridiques, techniques, économiques et financières pour éviter des erreurs d’appréciation qui coûteraient cher à l’Etat. Par exemple, il serait scandaleux pour l’Etat de concéder un projet de 100 millions là où il aurait le même type d’infrastructures et de services à 40 millions. Mais comment éviter de telles erreurs qui coûtent de grandes fortunes aux générations futures dans un pays aux ressources financières très limitées ? C’est en associant toute expertise nécessaire et en écoutant les propositions de toutes les parties prenantes au projet.

    Un contrat de PPP représente d’énormes enjeux aussi bien économiques, politiques que sociaux. Nous avons souligné la valeur très élevée des sommes d’argent mises en jeu pour le financement de la conception, la construction, l’entretien et la gestion des infrastructures, l’importance des intérêts financiers engrangés par l’exploitation des services concédés au partenaire privé.

    Tous les opérateurs économiques intéressés à l’offre devraient de ce fait être mis dans des conditions totalement égales et équitables pour permettre au porteur de l’offre réellement meilleure de l’emporter.

    Les usagers des services sont intéressés par le processus pour s’assurer que le concessionnaire retenu est le mieux à même de fournir un service de qualité au bon prix.

    Ainsi, les parties prenantes suivantes doivent absolument être consultées :

    1. Les élus de l’entité concernée par le projet pour la validation politique des projets à mener ;
    2. Les opérateurs économiques pour examiner la rentabilité et l’intérêt porté aux projets ;
    3. Les prêteurs (banques ou autres organismes financiers) devant donner le financement ;
    4. Les investisseurs qui vont placer leur argent dans la société projet ;
    5. Les usagers des services à concéder qui vont payer les redevances ;
    6. La société civile qui veille sur les normes de la bonne gouvernance dans le processus ;
    7. Les bailleurs de fonds susceptibles d’appuyer techniquement et financièrement les projets ;
    8. Les représentants des communautés affectés par les travaux de construction ;
    9. Les médias chargés de vulgariser toutes les étapes du processus auprès du public.

    Cette concertation reste un impératif et non une option livrée au bon vouloir de l’autorité contractante. Les expériences montrent que l’opposition d’une de ces parties au déploiement du projet de partenariat public-privé peut le mener à la débâcle.

    Pour conclure, David Ndagano note que du point de vue du droit régissant les partenariats public-privé en République démocratique du Congo et des bonnes pratiques internationales, les contrats signés entre le Gouverneur Théo NGWABIDJE KASI et JINJIANG CONSTRUCTION SARL n’ont aucune valeur juridique car pris en violation intentionnelle et flagrante de la loi.

    Bien plus, ce document révèle une légèreté hors pair et une carence criante des compétences juridiques et managériales dans l’entourage du Gouverneur. Il reflète une gouvernance déficitaire, bâtie sur l’opacité et le bricolage et qui méprise le savoir-faire dont a besoin le Sud-Kivu pour amorcer son décollage.

    Par ailleurs, l’opacité dans la négociation et la conclusion des contrats est déconcertante et devrait attirer l’attention des institutions attitrées dans le contrôle des finances publiques. Elles devraient s’activer pour en savoir plus sur ce contrat du siècle. Ainsi, l’Inspection Générale des Finances, l’Assemblée Provinciale, l’ARMP et le Parquet devraient chercher à en savoir plus sur cette concession éléphantesque ayant défié les règles élémentaires de l’art.

    Quant aux conséquences juridiques, les contrats sont réputés NULS car illégaux sur toute la ligne. Les citoyens du Sud-Kivu, usagers des services à fournir par le concessionnaire ont le droit de l’attaquer en annulation car leurs intérêts n’ont pas été pris en compte dans son élaboration.

    Selon la loi, pareils contrats sont non seulement réputés nuls, mais aussi exposent leurs autours à des poursuites pénales au cas où ils donnent lieu à des soupçons de corruption. Étant légalement classés comme contrats administratifs, ils peuvent par conséquent être attaqués devant toutes les instances susceptibles de recevoir des griefs de toute personne lésée par un acte administratif pris par le Gouverneur de province.

    Ci-dessous la longue Tribune de Me David Ndagano

     « RETOUR SUR LES FAITS  

    Samedi, 06 mars 2021, la toile s’enflamme au Sud-Kivu. La cellule de communication du  Gouvernorat de province vient de publier, tambour battant, une annonce sur la signature de  « Plusieurs pour la modernisation des routes, 362 kilomètres sur les axes Bukavu-Shabunda,  Bukavu-Walungu, dans la ville de Bukavu et à Idjwi ». Le projet sera financé à hauteur d’une  bagatelle de 680 millions de dollars américains pour une province dont le budget de  l’exercice 2020 a été exécuté à environ 70 millions de dollars américains, ce qui signifie que le  contrat porte sur un montant égal à près de 10 fois le budget annuel de la province. 

    Etablissant un petit parallélisme avec le budget du pouvoir central de l’exercice 2020 qui est  d’environ 5 milliards, un tel contrat vaudrait pour le pouvoir central 50 milliards de dollars  américains. Vu sous cet angle, il est aisé de comprendre pourquoi il est légitime pour l’opinion de se pencher davantage sur ce sujet : S’agit réellement des contrats ou juste un coup de  théâtre politique ? De quand date la procédure ainsi couronnée ? Quelle est cette société qui  a remporté ce marché ? Y a-t-il eu appel d’offres ? Que gagne la province dans ces contrats ?  D’où la province tirera les ressources pour financer ce projet, sachant que ses agents accusent  plus d’une année d’arriérés de salaires ? Quel en est réellement le contenu ? Que dit la loi en  la matière et quelles conséquences juridiques y sont liées? Silence radio à Nyamoma ! 

    Une avalanche d’interrogations pertinentes, de quoi faire jaser les internautes, de quoi faire  réfléchir les intellectuels et la société civile, curieux d’en savoir plus sur ces contrats tombés  comme par baguette magique. La spontanéité avec laquelle leur signature a été annoncée a  choqué plusieurs habitants du Sud-Kivu, étant donné le montant astronomique en jeu. Il est  connu des initiés que les contrats de ce type sont fastidieux, font appel à une grande  ingéniosité, exigent une grande participation sociale et prennent des années à se préparer. 

    Voilà qui nous amène à réaliser une analyse juridique de ces contrats sur lesquels pèsent  d’énormes griefs et soupçons, dans le souci d’éclairer la religion de nos compatriotes soucieux  d’en savoir plus sur ce sujet d’une grande importance pour la province du Sud-Kivu. 

    1. ZOOOM SUR LE CONTENU DES CONTRATS 

    Selon les termes du document intitulé « CONTRAT DE CONCESSION » ou CONVENTION DE  PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE N°01/PPP/CAB/GOUPRO-SK/2021 que nous avons consulté, il  est conclu entre le Gouverneur Théo NGWABIDJE KASI comme Maître d’ouvrage et la Société  JINJIANG CONSTRUCTION SARL, représentée par Monsieur YUMBA DITSHITUKA José  D’OLIVIERA, agissant en qualité de Directeur Général, RCCM 20-B-00365, ayant son siège sur  avenue des Orangers n°29, quartier de Volcan, commune de Goma, Ville de Goma, Nord Kivu, RDC désigné comme Entrepreneur. 

    Il a pour objet « Les travaux d’asphaltage de la route Bukavu-Shabunda (363 km) et  l’exploitation des postes de péages ». 

    Le contrat est d’un volume inédit dans l’histoire des Partenariats public-privé : quatre (04)  bonnes pages, celle de garde incluse ! Généralement, les contrats PPP sont très volumineux  étant donné l’exhaustivité des informations qu’ils requièrent.  

    Une dizaine de lignes sont écrites pour expliquer la raison d’être du contrat, deux  paragraphes nous intéressent dans les motivations :

    Considérant la nécessité d’exécuter en urgence ces travaux, le présent contrat a été conclu de  gré à gré conformément à la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et  l’Edit n°002 du 03 juin 2011 portant organisation de la passation des marchés publics en  province et dans les ETD du Sud-Kivu. 

    Attendu que la Province du Sud-Kivu a levé l’option de réaliser ces travaux d’asphaltage des  deux routiers suscités sous partenariat public privé avec l’Entrepreneur. 

    L’article 2 stipule que le contrat est conclu pour 24 mois prorogeables pour cas fortuit ou de  force majeure rapporté par l’Entrepreneur. 

    Le montant du marché hors taxes et droits de douanes est l’équivalent en dollars américains  de sept cent vingt-six millions en lettres mais de 544 500 000 en chiffres ! 

    Venons-en à l’article 4 qui parle des modalités de paiement : « Le paiement des prestations de  l’Entrepreneur s’effectuera par la perception des frais d’exploitation des postes de péage  routier modernes construits par ce dernier sur une période de 25 ans ». 

    L’article 8 qui évoque vaguement le droit applicable parle du droit congolais. Par la suite, il  conclut qu’en cas d’échec du règlement des différends par négociation directe, il sera  procédé à l’arbitrage conformément au droit congolais tout en engageant les parties à respecter la sentence arbitrale comme règlement final et définitif.  

    III. DE GRAVES VIOLATIONS DE LA LOI SUR LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE  
    1. Le choix d’une forme de contrat confuse (Par fraude à la loi ?)  

    Dans les quelques lignes qui mentionnent légèrement les motivations de la conclusion du  contrat, il est vaguement évoqué le recours au gré à gré motivé par une urgence et il est fait  mention de la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et à l’édit provincial  sur les marchés publics. 

    Le paragraphe qui suit parle de l’exécution du contrat sous forme de partenariat public-privé. 

    Le premier biais apparaît de la grave confusion entretenue entre la loi relative aux marchés  publics et la Loi n°18/016 du 09 juillet 2018 relative au partenariat public-privé. 

    Or, selon l’article 4, « Le paiement des prestations de l’Entrepreneur s’effectuera par la  perception des frais d’exploitation des postes de péage routier modernes construits par ce  dernier sur une période de 25 ans ». Cette clause tranche en faveur du partenariat public privé comme forme juridique du contrat et écarte automatiquement l’application de la loi  relative aux marchés publics. En outre, les mots concession et partenariat public-privé sont  utilisés pour qualifier ce contrat, de même l’intitulé du contrat contient le sigle PPP. 

    1. Mais qu’est-ce qu’un contrat de partenariat public-privé et pourquoi y recourir ?  

    Le contrat de partenariat porte notamment sur une mission globale de financement d’une  infrastructure, sa conception, sa construction, son exploitation, son entretien à charge du  partenaire privé, selon l’article 3, al.3 de la loi précitée. C’est ce qui semble bien le cas ici.

    Au-delà des explications fournies par l’article précité, une doctrine très abondante existe sur  cette approche en vogue dans le domaine des grosses infrastructures à travers le monde. 

    « Le partenariat public-privé est un mode de contractualisation et de gestion très puissant  pour optimiser la commande publique, mais qui reste d’un maniement complexe et délicat  par rapport aux formules classiques. L’expérience montre en effet que le niveau de compréhension de ses enjeux et la qualité de la préparation de la phase d’attribution du projet sont des facteurs-clés pour obtenir les résultats recherchés et permettre au final de  rendre aux citoyens et usagers un meilleur service à un meilleur coût dans la durée »1

    Les partenariats public-privé (…) diffèrent des modes classiques de commande publique à  plusieurs titres. Dans le cadre d’un PPP, le secteur public et le secteur privé collaborent pour  réaliser des projets d’infrastructures publiques-comme par exemple des routes, des chemins  de fer, des hôpitaux, des écoles -. 

    La justification du recours à un PPP plutôt qu’aux autres modes de commande publique  repose sur l’idée généralement acceptée selon laquelle un partage optimal des risques entre  les partenaires public et privé engendre un bilan coûts/avantages (… ) plus favorable pour le  secteur public et, in fine, pour la société »2

    « Le terme des PPP se réfère en général à des formes de coopération entre autorités publiques  et le monde des entreprises qui visent à assurer le financement, la construction, la rénovation,  la gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou la fourniture d’un service »3.  

    Il concerne une vaste gamme de modèles de coopération entre le secteur public et le secteur  privé auxquels on peut recourir dans tous les cas où une administration publique entend  confier à un opérateur privé la mise en œuvre d’un projet pour la réalisation d’ouvrages  publics ou d’utilité publique pour la gestion des services y afférents. 

    Les opérations de PPP se caractérisent par :  

    – La durée relativement longue de la relation, impliquant une coopération entre le  partenaire public et le partenaire privé ; 

    – Le mode de financement du projet assuré pour partie par le secteur privé, des montages  complexes et parfois des financements publics très importants ; 

    – Le rôle important de l’opérateur économique qui participe à différents stades du projet  (conception, réalisation, mise en œuvre et financement, tandis que l’acteur public se  concentre sur la définition des objectifs à atteindre en termes d’intérêt public) ; 

    – Et la répartition des risques entre public et privé qui s’effectue au cas par cas, tous les  risques n’étant pas nécessairement assumés par le partenaire privé. 

    Les PPP sont toutefois plus complexes que les modes dits « classiques » de commande  publique. Ils requièrent une préparation et une planification détaillées, ainsi qu’une gestion  adaptée de la phase de passation du contrat permettant de stimuler la concurrence entre les  candidats. Ils nécessitent également une rédaction rigoureuse des termes des contrats sous jacents, en particulier en ce qui concerne l’établissement des critères de performance des services fournis par le projet, la rétribution du partenaire privé et la répartition des risques.  Les PPP exigent donc, au sein du secteur public, des compétences qui ne sont pas  nécessairement requises par les autres modes de commande publique »4

    « L’entité privée peut percevoir des redevances auprès des usagers, peut être payée par le  gouvernement, ou être rémunérée selon une combinaison de ces deux méthodes, avec  comme condition, couramment utilisée, que le paiement soit subordonné aux résultats. Le mécanisme de paiement dépendra des fonctions assumées par l’entité privée. Dans le  cadre de PPP de type « usager payeur », tels que des routes à péage, l’entité privée fournit un  service aux usagers et produit des recettes en leur imposant des redevances pour le service  en question. Ces frais (ou tarifs, ou péages) peuvent être complétés par des subventions  versées par le gouvernement. Celles-ci peuvent être axées sur la performance (par exemple,  subordonnées à un niveau de qualité donné) ou sur les résultats (par exemple, en fonction  des paiements par l’usager) »5

    1. De la violation de toutes les règles de procédure consacrées par la loi n°18/016  

    L’article 2, al.2 dispose que la présente loi s’applique à l’ensemble de contrats répondant à la  définition du partenariat public‐privé, quelle que soit la forme ou la dénomination alors que  l’article 5 précise que le contrat de partenariat public‐privé dont l’objet porte sur un service  public est un contrat administratif. 

    Les principes posés par cette loi et qui ont été violés par M. NGWABIDJE sont, entre autres: 

    1. La transparence dans la procédure: la règle cardinale fauchée!  

      A la lecture de l’article 9 de la loi, nous trouvons ce qui suit : « La transparence dans les procédures  de partenariat public‐privé se traduit notamment par :  

    ∙ la diffusion suffisante et largement à l’avance des besoins par l’autorité contractante, de façon  à garantir l’accès au contrat de partenariat public privé du plus grand nombre de candidats ;  

    ∙ la possibilité de prendre connaissance des règles effectivement appliquées à travers des textes  clairs, y compris l’usage de documents standards, qui facilitent le contrôle a priori et a  posteriori du respect de ces règles ; 

    ∙ l’ouverture publique des offres et la publication des résultats qui permettent le contrôle de  l’impartialité des procédures d’attribution des contrats le droit de recours en cas de non‐ respect des règles d’octroi et d’exécution du contrat ;  

    ∙ le bannissement de toute forme de fraude et de corruption dans l’octroi et l’exécution du  contrat ».

    Et pour garantir cette transparence, le contrat de partenariat public‐privé est conclu par appel  d’offres6. Cela appelle à une publicité très large en vue de garantir la concurrence. 

    La publicité est faite par insertion, dans les mêmes termes, dans la presse locale, nationale ou  internationale ou sous mode électronique, selon un document modèle qui en fixe les  mentions obligatoires. Cette obligation concerne également les avis de pré‐qualification.  

    L’absence de publicité entraîne la nullité de la procédure7

    1. Les intervenants et leurs missions spécifiques  

    Pour garantir une gestion adéquate des partenariats public-privé, la loi distingue différents  intervenants avec des tâches spécifiques. Il y a des institutions et organismes chargés de la  conception du plan de développement national et de la gestion des investissements, de  conseil, de conclusion, d’approbation, de régulation et de contrôle. 

    A la lumière de l’article 21, la régulation et le contrôle a priori et a posteriori de la procédure  de conclusion du partenariat public‐privé sont assurés par l’Autorité de régulation des  marchés publics alors que la gestion de contentieux d’attribution ou d’exécution des contrats  de partenariat public‐privé est assurée par le Comité de règlement de différends de la même  Autorité. 

    Pour souligner le caractère impérieux de cette distinction des rôles, l’article 23 dispose que  l’exercice cumulé par une même institution ou un même organisme des fonctions de gestion,  de régulation et d’approbation est strictement prohibé. Il emporte nullité des actes pris en  violation de cette disposition sans préjudice des sanctions qui pourront être prononcées à  l’encontre du contrevenant. 

      La conclusion du contrat de partenariat public‐privé est soumise aux préalables ci‐après : 

    ▪ l’identification du projet et la réalisation d’une étude de faisabilité ;  

    ▪ l’évaluation de l’opportunité ;  

    ▪ l’intégration des besoins dans le cadre d’un programme de développement et d’une  programmation budgétaire ;  

    ▪ la planification d’un processus de mise en concurrence ;  

    ▪ le respect des obligations de publicité et de transparence ;  

    ▪ le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse. 

    L’article 29 fixe 14 critères d’évaluation de l’offre économiquement la plus avantageuse :  

    ▪ le coût d’investissement ;  

    ▪ les délais d’exécution ;  

    ▪ la qualité et la rationalité du montage financier et des sources de financement pour  faire face aux engagements liés au contrat ;  

    ▪ l’aptitude à assurer la qualité et la continuité du service public ;  

    ▪ les spécifications et normes de performance prévues ou proposées ; 

    ▪ les tarifs proposés aux usagers ;  

    ▪ les sommes éventuellement reversées à l’État ou à l’Autorité contractante ;  ▪ toute autre recette issue de l’exploitation des équipements et la valeur de  rétrocession des installations au profit de l’Autorité contractante ;  

    ▪ les coûts divers, le montant du financement offert ;  

    ▪ le coût de fonctionnement des infrastructures ou matériels proposés ;  ▪ la garantie de la durée de vie des infrastructures ou matériels proposés ; 

    ▪ l’impact environnemental ;  

    ▪ les modalités de transfert de technologie et des compétences aux congolais ou aux  personnes morales de droit congolais ;  

    ▪ l’utilisation plus ou moins accrue des compétences nationales.  

    Outre les dispositions communes à toutes les formes de partenariat public‐privé prévues par  la présente loi, le contrat de partenariat comporte les clauses relatives :  

    ✔ à la détermination de l’assiette de calcul des créances se rapportant aux coûts  d’investissement, de financement et d’exploitation entrant dans le calcul du montant  du loyer ainsi que de la fixation des critères permettant leur révision ;  

    ✔ aux recettes que le partenaire privé peut être autorisé à se procurer en exploitant les  ouvrages ou équipements pour répondre à d’autres besoins que ceux de l’Autorité  contractante ; 

    ✔ aux conditions financières de la remise en pleine propriété, à l’autorité contractante,  des biens, objet du contrat global, si les constructions, ouvrages et installations  prévus au contrat sont édifiés sur des emprises privées8

    Il va sans dire que, toutes les règles établies pour garantir la sélection, la préparation,  l’élaboration et la conclusion minutieuse d’un projet de PPP ne sont pas au rendez-vous  dans le cas sous analyse.  

    Même si certaines dispositions de la loi relative au PPP ne sont pas encore en vigueur car  sujettes à des décrets d’application, il n’en demeure pas moins vrai que tous les principes  sont déjà posés par le législateur et chercher à s’y soustraire n’est qu’une fraude à la loi. 

    En outre, le toute autorité contractante devra, à toutes les grandes étapes de la procédure,  requérir les avis techniques de l’Autorité de régulation des marchés publics, du Ministère du  Plan et associer au mieux l’Assemblée délibérante dont elle émane. 

    Dans l’histoire récente de la RDC, le plus grand projet porté par le Gouvernement central  sous format PPP reste celui de construction du Port en eau profonde de Banana. Combien  coûte-t-il ? Un milliard de dollars américains sur 30 ans, soit le cinquième du budget annuel.  En termes de valeur relative (fondée sur le rapport entre le montant du contrat et le budget  de l’entité contractante, le contrat du Sud-Kivu coûte 50 fois plus à la province que le Port de  Banana ne coûte au Pouvoir central). 

    Cependant, au regard du temps qui a été mis pour la préparation et la signature de son  contrat, il y a lieu de conclure que ce type de contrat n’est pas une mince affaire. Pour  cause, plusieurs études techniques, juridiques, environnementales et économiques  précèdent même la décision de réaliser le projet sous ce format. 

    Dans un contexte de gouvernance défectueuse, il est prouvé que la politique ou gains  personnels entravent le processus de sélection du projet PPP en accroissant les coûts ou en  réaffectant les fonds vers des projets moins utiles.  

    « Une analyse du Fonds Monétaire International (FMI) portant sur la corruption dans  l’investissement public dans le secteur de l’infrastructure montre que la corruption avait  tendance à créer un biais en faveur des projets de dépenses en capital, et à accroître leur  taille et leur complexité, réduisant ainsi la productivité de l’investissement ».9 

    1. LES BONNES PRATIQUES CONSACREES EN MATIERE DE PPP  

    Un contrat de PPP représente d’énormes enjeux aussi bien économiques, politiques que  sociaux. D’une part, il importe de souligner la valeur très élevée des sommes d’argent mises  en jeu pour le financement de la conception, la construction, l’entretien et la gestion des  infrastructures, l’importance des intérêts financiers engrangés par l’exploitation des services  concédés au partenaire privé. Tous les opérateurs économiques intéressés à l’offre  devraient de ce fait être mis dans des conditions totalement égales et équitables pour  permettre au porteur de l’offre réellement meilleure de l’emporter.  

    Lire aussi: RDC: 4 contrats signés par Tshisekedi en Égypte pour le développement des provinces

    D’autre part, le contrat portant sur les services publics d’une importance cruciale (routes,  ports, aéroports, rails, électricité, hôpitaux, stades, eau, transport etc.), comporte plusieurs  incidences sociales et environnementales devant être prises en compte pour mener à bien  le projet. Les usagers des services sont intéressés par le processus pour s’assurer que le  concessionnaire retenu est le mieux à même de fournir un service de qualité au bon prix.  Ainsi, les parties prenantes suivantes doivent absolument être consultées : 

    1. Les élus de l’entité concernée par le projet ; 
    2. Les opérateurs économiques ; 
    3. Les prêteurs (banques ou autres organismes financiers) ; 
    4. Les investisseurs qui vont placer leur argent dans la société projet; 
    5. Les usagers des services à concéder qui vont payer les redevances ; 
    6. La société civile qui veille sur les normes de la bonne gouvernance dans le processus
    7. 7. Les bailleurs de fonds ; 
    8. Les représentants des communautés affectés par les travaux de construction ;
    9. 9. Les médias chargés de vulgariser toutes les étapes du processus auprès du public. 

    Cette concertation reste un impératif et non une option livrée au bon vouloir de l’autorité  contractante. Dans la plupart des pays qui ont recouru aux PPP, les expériences montrent  que l’opposition d’une de ces parties au déploiement du projet de partenariat public-privé  peut le mener à la débâcle. D’où, la règle d’or est : négocier, dialoguer, consulter encore et  encore.

     V. CONCLUSION  

    Pour conclure, notons que du point de vue du droit régissant les partenariats public-privé en  République démocratique du Congo et des bonnes pratiques internationales, le contrat signé  entre le Gouverneur Théo NGWABIDJE KASI et JINJIANG CONSTRUCTION SARL n’a aucune  valeur juridique car pris en violation intentionnelle et flagrante de la loi. 

    Bien plus, ce document révèle une légèreté hors pair et une carence criante des compétences  en juridiques et managériales dans l’entourage du Gouverneur. Il reflète une gouvernance déficitaire, bâtie sur l’opacité et le bricolage et qui méprise le savoir-faire dont a besoin Sud Kivu pour amorcer son décollage. 

    Par ailleurs, l’opacité dans la négociation et la conclusion du contrat est déconcertante et  devrait attirer l’attention des institutions attitrées dans le contrôle des finances publiques. Elles  devraient s’activer pour en savoir plus sur ce contrat du siècle. Ainsi, l’Inspection Générale des  Finances, l’Assemblée Provinciale, l’ARMP et le Parquet devraient chercher à en savoir plus sur  cette concession éléphantesque ayant défié les règles élémentaires de l’art. 

    Ces contrats ont-ils en réalité été signés ou il s’agissait plutôt d’une stratégie de propagande  mise sur pied par l’entourage d’un Gouverneur foudroyé par de graves soupçons de  corruption et de détournement, en vue de semer la diversion et détourner l’attention de  l’opinion qui réclame à cor et à cri sa démission pour mauvaise gouvernance? 

    Quoiqu’il en soit, le Congo que nous voulons prospère ne peut se construire qu’au prix d’un  minimum de sérieux et non par le théâtre auquel nous assistons. 

    Quant aux conséquences juridiques, le contrat est réputé NUL car illégal sur toute la ligne.  Les citoyens du Sud-Kivu, usagers des services à fournir par le concessionnaire ont le droit de  l’attaquer en annulation car leurs intérêts n’ont pas été pris en compte dans son élaboration. 

    Etant légalement classé comme contrat administratif, il peut par conséquent être attaqué  devant toutes les instances susceptibles de recevoir des griefs de toute personne lésée par un  acte administratif pris par le Gouverneur de province ».

    Analyse réalisée mardi 09 mars 2021 

    Par David NDAGANO MWEZE  

    Juriste de formation, ancien de l’Université officielle de Bukavu 

    Administrateur Civil (Ancien de l’Ecole Nationale d’Administration-ENA RDC, éd. 2016) Expert Junior en Finances publiques et Chercheur en Partenariats public-privé.

    Share.

    Leave A Reply

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.