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    Au Sud-Kivu, c’est l’impasse alors que l’Assemblée Provinciale a voté une motion de censure contre le Gouvernement dirigé par Théo Ngwabidje Kasi. Le Gouverneur déchu, son parti politique l’AFDC et plusieurs autres acteurs multiplient des manœuvres pour mettre en cause la décision des députés provinciaux et ainsi permettre qu’il revienne par la petite porte à la tête de la province.

    Le premier geste du Gouverneur dont son sort devait être scellé par les députés provinciaux a été celui d’empêcher que la plénière se tienne à l’Assemblée Provinciale.

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    Dans une instruction qui circule ces derniers jours sur les réseaux sociaux, Théo Ngwabidje est formel : les députés provinciaux ne doivent pas se réunir.

    « Ainsi je vous instruits, en vertu de l’article 63 de la loi No 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces qui me charge, en tant que représentant du pouvoir central en province, d’assurer la sauvegarde de l’intérêt national, le respect des lois et règlement de la République et de veiller à la sécurité et à l’ordre public dans la province, de prendre les dispositions nécessaires et urgentes pour mettre en œuvre ces instructions de la hiérarchie, spécialement d’empêcher la tenue de la plénière de l’Assemblée Provinciale, programmée aujourd’hui à 10 heures pour éviter la perturbation de l’ordre public », écrit Théo Ngwabidje, dans ce document.

    Malgré cette instruction, les députés provinciaux se sont réunis et ont réussi leur coup : déchoir le gouvernement provincial accusé de mauvaise gestion dans plusieurs secteurs de la vie.

    Le mauvais perdant

    Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux quelques heures seulement après la destitution de son gouvernement, on voit Théo Ngwabidje à sa résidence officielle rassurer ses soutiens, ses courtisans : « restez calmes, ne croyez pas qu’on a perdu le pouvoir ».

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    « Avez-vous déjà vu un jour un vote par correspondance ? Il faut être à 32 personnes pour voter. Y-avait-il 32 personnes dedans ? Il y avait quand même 26. Tout ce qu’ils ont fait est illégal dès lors qu’il n’y avait pas 32 personnes. Pour voter, il faut 32 personnes. Restez calmes, ne croyez pas qu’on a perdu le pouvoir. Rentrez à la maison, il n’y a pas de problème » a dit Théo Ngwabidje devant ses courtisans acclameurs.

    Celui qu’il convient d’appeler désormais « ancien Gouverneur » a été rejoint par son Gouvernement provincial. Le Porte-Parole du Gouvernement provincial relevait lui aussi, dans les mêmes termes les « irrégularités » contenues dans le vote de la motion.

    Opposer l’UNC et l’UDPS

    Comme on dit, tous les coups sont permis en politique. Le Gouverneur déchu l’a peut-être compris. Théo Ngwabidje et son parti l’Alliance des Forces Démocratique du Congo (AFDC) ont trouvé une formule : opposer l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) respectivement, le parti Présidentiel et le parti de Vital Kamerhe, ancien Directeur de Cabinet de Tshisekedi.

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    Dans sa déclaration, l’AFDC Sud-Kivu avait accusé les députés UNC d’être au cœur de la situation. Plusieurs cadres de son parti politique ou des proches collaborateurs du Gouverneur tiraient alors à boulet rouge sur leur allié avec qu’ils formaient le duo à la tête de l’Exécutif Provincial.

    Au même moment, les choses vont très vite. Ngwabidje doit se rendre à Kinshasa où les animateurs des institutions provinciales sont voulus. Il en profite pour raviver la méfiance devenue légendaire entre lui et son adjoint Marc Malago de l’UNC.

    Dans un document, il laisse l’intérim au Ministre Provincial de l’Intérieur (UDPS) qu’il désigne alors qu’il sait que son adjoint (lui aussi déchu) est toujours à Bukavu et qu’il n’est pas encore parti.

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    Cette situation créera alors une lutte de pouvoir pour assumer l’intérim du Gouverneur déchu qui se considère toujours comme faisant fonction.

    C’est ce que le Professeur Philippe Kaganda appellera la « stratégie du chaos ».

    Cette stratégie du chaos, se situe, selon cet enseignant, a trois piliers : désobéissance de certains ministres à l’autorité du Gouverneur a.i. ; incitation au conflit entre l’UDPS et l’UNC autour de l’intérim ; manipulation de la Justice en province pour semer la confusion.

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    « La stratégie du chaos ne profiterait nullement au Gouverneur car l’Etat congolais ne pourrait pas sacrifier l’impératif et la nécessité du maintien de l’ordre public et du fonctionnement de la province. Certains Ministres sont entraînés dans un « barbarisme » contre l’Etat. En outre, l’AFDC n’a rien à gagner dans cette bataille aux conséquences multiples sur sa popularité et la notoriété de son « autorité morale » ; prévient Philippe Kaganda.

    Le Vice-Gouverneur (UNC) « suspendu » par le Ministre de l’Intérieur (UDPS) est pour nombreux, le début de la réussite de cette démarche tendant à opposer ces deux autres alliés.

    Opposer les communautés !

    Dans la suite des actions pour tenter de contrer toute l’action de destitution de Ngwabidje, les moyens, même les moins conventionnels ont été utilisés. C’est notamment l’utilisation des communautés tribales et ethniques pour tenter de se refaire une légitimité.

    Que ne fut pas la surprise des Bukaviens de suivre un communiqué radiodiffusé des personnes se réclamant d’une communauté promettant de paralyser tout le trafic sur le lac Kivu au cas où la motion était examinée? D’autres « analystes » de ce genre continuent à se taper des espaces médiatiques sur plusieurs chaînes soutenues par le Gouvernement déchu.  

    Les appels aux soutiens

    Le Sud-Kivu c’est aussi des associations et structures pour telle ou telle autre cause. La cause du Gouverneur déchu semble très bien plaidée par nombreuses d’entre elles mobilisées pour « prêcher la stabilité des institutions provinciales ». En effet, plusieurs communiqués se suivent et parfois conçus dans le seul but. Ceux disant le contraire sont presque censurés sur plusieurs médias, pourtant à forte audience.

    Appeler au « dialogue » et se rassurer qu’on contrôle la situation

    En réalité explique-t-on au sein de l’Assemblée provinciale, le géniteur de Théo Ngwabidje ne s’est pas encore rassuré du contrôle total de la situation politique actuelle. En effet, au moins 28 députés sur les 48 ont voté pour la déchéance de l’actuel gouvernement. Ce qui signifie que les forces en présence ne sont pas connues car plusieurs députés provinciaux ne répondent presque plus aux mots d’ordre ou à l’orientation de leurs partis politiques.

    Alors que nombreux de l’UNC avaient par exemple soutenu la destitution de l’actuel gouvernement, d’autres sont et restent des fervents soutiens de Ngwabidje. C’est le cas du député Amani Ngubiri dit « Tac » qui ne cachait pas son soutien inconditionnel et renouvelé au Gouverneur déchu.

    Même si dans les rangs de l’AFDC-A, on semblait afficher l’unité, quelques députés sur les 9 ont toujours exprimé même en coulisse leur désapprobation par rapport à la gouvernance actuelle.

    Le Gouvernement déchu disposait toujours des soutiens dans la mosaïque issue du PPRD et alliés, FCC ou transfuges et alliés mais également de l’ancienne opposition Lamuka. Ces groupes constituaient la majorité des élus à l’Assemblée provinciale. Les suppléants de quelques députés nommés ministres au sein du gouvernement provincial n’avaient toujours pas été validés par la plénière de l’Assemblée provinciale.

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    Ces appels au dialogue incessants pour visiblement mettre fin au contrôle parlementaire ont repris au Sud-Kivu. Des acteurs sociaux, politiques et mêmes des médias sont mis à contribution. 

    C’est la pratique devenue courante à chaque fois qu’une autorité est mise en cause par rapport à sa gestion opaque et contestée. Objectif: se rassurer qu’on ne va pas perdre le contrôle de la province mais également et surtout conserver ses intérêts. En effet, Théo Ngwabidje c’est la partie visible de l’iceberg dans la gestion « chaotique » du Sud-Kivu. 

    Nombreuses personnalités ayant des personnes recommandées ou imposé des animateurs de plusieurs institutions ne sont pas sures de continuer à jouer le même rôle.

    D’autres indexées officieusement dans le soutien de l’exploitation illicite des minerais (ou soutenant des opérateurs économiques impliqués) ne savent pas ce qu’il adviendrait si ce n’est plus leur pion qui est au cœur de la gouvernance au Sud-Kivu. Plusieurs enjeux en cours.

    Appeler le Président de la République à « agir »

    Des mots d’ordre viennent de Kinshasa pour avoir des déclarations au Sud-Kivu. Des déclarations pour faire croire que le problème est plutôt entre le Président de l’Assemblée Provinciale et le Gouverneur déchu. « Il faut que le Président de la République s’implique pour dénouer cette crise » entend-on. Plusieurs déclarations ont été lues dans ce sens avec parfois les mêmes acteurs connus et identifiés. 

    La motivation est claire: permettre à ce que la situation du Sud-Kivu soit également au menu de la prochaine rencontre annoncée par les hautes autorités du pays entre le Sénat et les pouvoirs provinciaux. Il faut faire en sorte que le Président du Sénat (AFDC-A) soit le prochain arbitre pour le combat qui coince son Gouverneur (AFDC).

    Laisser les députés faire leur travail de contrôle 

    Comment pouvons-nous vouloir une chose et son contraire? Au Sud-Kivu, tout le monde est unanime: la gouvernance Ngwabidje a été une catastrophe.

    Pourtant à chaque action parlementaire, des acteurs sociaux politiques et médiatiques sont mis à contribution pour tirer à boulet rouge sur les députés provinciaux. 

    Désormais seule contre tous, la Société Civile est restée égale à elle-même: il faut laisser chacun faire son travail. Les députés provinciaux ont droit de contrôler l’action du gouvernement et le gouverneur doit répondre, rappelait-on de ce côté-là depuis la procédure de la motion de censure.

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    Dans une déclaration rendue publique le mercredi 1er décembre 2021, la Société Civile du Sud-Kivu se disait convaincue que cette motion était prévue par les dispositions légales de la constitution et demeurait une des voix de contrôle de l’Exécutif par le parlement.

    « S’agissant de la motion, qu’elle soit de défiance ou de censure, elle est prévue par les dispositions des articles 146,147 et 198 alinéa 9 de la Constitution et demeure donc une des voix privilégiées de contrôle de l’Exécutif par le parlement et encourage par conséquent le Gouverneur à donner sa version de faits devant la représentation provinciale. Redevabilité oblige. Encourage le Gouverneur Théo Kasi à s’acquitter de ce devoir et exercice patriotique, celui de s’expliquer devant la représentation provinciale des faits lui reprochés », peut-on lire dans cette déclaration signée par Me Néné Bintu Iragi, Présidente ad intérim.

    Néné Bintu, Présidente intérimaire fustigeait les rumeurs faisant état de manœuvres de corruption et intimidations tendant à étouffer ces initiatives qui sont pourtant constitutionnelles.

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    « Le Bureau de Coordination de la Société Civile du Sud-Kivu fustige les rumeurs faisant état de manœuvres de corruption et intimidation tendant à étouffer ces initiatives qui sont pourtant constitutionnelles et qui peuvent être renversées au cas où l’autorité provinciale parvient à donner des justifications fondées et convaincantes. Au même moment, il décourage les initiatives purement alimentaires et qui ne tiendraient pas compte des besoins prioritaires de la population et de la stabilité des institutions provinciales », expliquait-elle.

    Dans une autre déclaration après la déchéance du gouvernement, la Société Civile du Sud-Kivu a appelé à des élections du Gouverneur et son adjoint endéans 3 semaines dans la Province. Elle regrettait par ailleurs que le Gouverneur Ngwabidje n’ait pas préféré aller se défendre devant les élus.

    Dialoguer? Construire la démocratie et la stabilité des institutions à tous les niveaux? En tout cas c’est l’avis de tout le monde. Mais faudra-t-il le faire en bafouant les règles sacrosaintes de la même démocratie et de la bonne gouvernance?

    En tout cas, nombreux croient que la Province du Sud-Kivu se dotera des dirigeants capables de permettre son décollage et qu’il faut désormais tourner la page d’une gouvernance à tâtons. Les manœuvres pour imposer un retour forcé ou « sauver » deux individus (Ngwabidje et Malago) ne feront qu’éloigner la province de son rendez-vous avec le développement.

    Il n’y a pas d’hommes providentiels, surtout quand ceux-ci bafouent les principes les plus élémentaires de la gestion.

    Bertin Bulonza

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