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    Près de vingt jours que François Beya a été arrêté par le service de renseignement congolais. François Beya, sécurocrate patenté, a survécu jusqu’ici à tous les régimes successifs au Zaïre puis en République démocratique du Congo. “Un insubmersible”, comme le désigne un vieil habitué du sérail politique congolais. “Enfin, c’est ce qu’on pensait jusqu’à ce samedi 5 février”, enchaîne-t-il sur un ton sarcastique, tout en avouant “ne pas comprendre exactement ce qui se cache derrière cette arrestation”.

    Ce samedi-là, en fin de matinée, le nouvel administrateur général de l’Agence nationale de renseignement (ANR), Jean-Hervé Mbelu, s’est présenté au domicile de Beya. Les deux hommes se connaissent très bien mais ne s’apprécient pas vraiment.

    La désignation, le 12 décembre 2021, de Mbelu à la tête de l’ANR a été vécue comme un signe avant-coureur de sa déchéance par Beya qui n’a pas été consulté un seul instant dans ce processus de désignation mené exclusivement par le président et quelques-uns de ses proches. Pis, François Beya avait dû céder certaines de ses prérogatives au nouveau patron de l’ANR.

    Ordre de dernière minute

    “Son arrestation a surpris beaucoup de monde mais pas le principal intéressé”, explique un diplomate qui s’est entretenu avec François Beya quelques jours avant “le début de son calvaire. Ce qui est certain, c’est que cette arrestation avait été gardée secrète, ce qui est exceptionnel dans ce pays où tout se sait toujours très rapidement”.

    Un constat qui conforte la thèse selon laquelle l’ordre de cette arrestation est venu en direct du président Tshisekedi depuis la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, où il était parti pour remettre la présidence tournante de l’Union africaine à son successeur le Sénégalais Macky Sall. “Impossible que tout ait été préparé avant son départ. Beya aurait été mis au courant, ça ne fait aucun doute”, explique un député de la majorité.

    Silence radio et Légalité

    Depuis près de 20 jours, l’homme est privé de liberté et maintenu dans les locaux de l’ANR. Or, en République démocratique du Congo, l’article 18 de la Constitution prévoit que “la garde à vue ne peut excéder 48 heures. À l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être soit relâchée, soit mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente, en principe les Parquets compétents”.

    “La garde à vue de Beya est donc devenue inconstitutionnelle depuis deux semaines, constate un juriste congolais, avant de poursuivre : “Toutefois, l’article 73 de l’ordonnance 78-289 du 3 juillet 1978 relative à l’exercice des attributions d’officier et agents de police judiciaire près les juridictions de droit commun, prévoit une prorogation de la durée de la garde à vue justifiée par un cas de force majeure. Ici, l’ANR peut valablement invoquer ce cas de force majeure liée à la complexité du dossier impliquant par exemple des enquêtes à mener auprès des services de renseignement extérieurs.

    Bref, cette longue garde à vue pourrait se justifier un certain temps mais avec des limites évidentes.

    Le silence qui entoure cette détention est troublant. “D’autres arrestations devaient suivre, selon les premières rumeurs et les témoignages des proches du pouvoir mais jusqu’ici, il n’y a rien. Beaucoup ont évoqué une menace contre la sécurité intérieure. Un coup d’État. Mais rien n’est démontré, aucun suspect n’a été arrêté et tout le monde continue à vivre et à se déplacer à sa guise”, poursuit un homme politique qui pointe la “chape de plomb qui pèse sur ce dossier”. “Il y a des noms qu’on ne cite pas. Dans les familles, dans les bars, personne ne veut parler de ce dossier. Cela démontre un malaise mais aussi une forme de régime de terreur imposé par le nouveau pouvoir. La peur s’est installée au Congo et ce n’est jamais un signal positif dans une démocratie.

    François Beya est-il vraiment à la tête d’un complot pour déstabiliser l’État ? “Personne n’y croit plus vraiment. S’il y avait eu un coup d’État en préparation, il y aurait des défections, des fuites, après une telle arrestation”, poursuit notre diplomate, qui enchaîne, “le plus étonnant, ici, c’est que la page Beya est tournée. On le pensait tout-puissant, il a disparu des radars ou presque sans susciter de réactions. Autre élément évident, il ne reviendra plus au premier plan même s’il devait être innocent. Souci, il sait beaucoup de choses sur ce régime et le précédent. Comment le président Tshisekedi qui est incontestablement à l’origine de cette arrestation va-t-il manœuvrer pour sortir de ce dossier ? La piste d’un grand complot qui devrait être prochainement dénoncé est encore souvent évoquée mais plus personne n’y croira après plus de deux semaines de ce psychodrame”.

    Après l’arrestation de François Beya, le Conseiller spécial sécurité du président Tshisekedi, un haut gradé congolais met en garde contre « un grand coup de balai mené contre les principaux opposants du régime ».

    « Les interventions sont imminentes. Des armes vont être découvertes chez les principaux adversaires politiques congolais. Fayulu, Katumbi et la famille Kabila sont visés » .

    Les propos cognent. Le haut gradé congolais qui tient ces propos n’a pas coutume d’allumer des incendies. Ces mots doivent s’entendre dans la logique de l’arrestation de François Beya mais aussi de la cérémonie de déclaration du « Renouvellement de la loyauté au commandant suprême » qui a marqué nombre de responsables des services de sécurité de la RDC.

    Jeudi 17 février, en effet, les responsables des services de la police, de l’armée et du renseignement étaient conviés devant le président de la République pour un discours d’allégeance. « Face aux vicissitudes du moment, nous militaires, policiers et bâtisseurs du Service National, rassurons votre Suprême Autorité qu’aucune action de séduction de quelle que nature que ce soit, ni une quelconque campagne d’intoxication ne viendront ébranler notre engagement citoyen et notre détermination à demeurer apolitiques, républicains et légalistes pour la défense de la cause Congo », dit le texte, qui ajoute « Nous ne nous laisserons nullement inféodés ni détournés de nos missions sacrées par des vendeurs d’illusion en mal de gloriole dont l’objectif premier ne cadre pas avec votre vision axée sur le bonheur du peuple congolais. Aussi, saisissons-nous la présente circonstance pour renouveler et réitérer toute notre fidélité, toute notre loyauté sans faille ainsi que toute notre disponibilité à oeuvrer, sous votre guise, à l’accomplissement de nos nobles missions jusqu’au sacrifice suprême. Sans jamais trahir le Congo ».

    En regard de cette déclaration d’allégeance, le président de la République mettait en garde : « Vous êtes là pour protéger les institutions de la République. Vous devez défendre la population congolaise et vous n’êtes pas là pour vous engager en politique. Si vous voulez vous engager en politique, c’est simple, vous déposez vos uniformes et vous rentrez à la vie civile. Vous n’êtes pas des politiques et vous n’avez pas à prendre une part quelconque dans le débat politique »

    Félix Tshisekedi poursuivait encore : « Je n’aimerais pas entendre que des hommes en arme, nos vaillants soldats, nos vaillants militaires ont pris fait et cause pour une telle tendance ou une telle autre. Ce n’est pas votre travail, vous êtes attendu sur d’autres théâtres, pas celui-là. »

    Certains militaires sont sortis décontenancés de cette séance de voeux qu’ils jugent comme une mise en garde à tous les services sécuritaires.

    « C’est une manière évidente de mettre la pression sur tous ceux qui doivent faire respecter le droit et l’ordre. Ajoutez-y le contexte sécuritaire avec les coups d’Etat qui se sont multipliés en Afrique et vous obtenez une paranoïa qui peut déboucher sur les pires excès », explique d’ailleurs un diplomate de Kinshasa.

    Dans les rangs des opposants, on ne nie pas les risques. « Il est évident que François Beya va être instrumentalisé. En deux semaines, il n’y a pas eu la moindre arrestation. Plus le temps passe, plus il faudra que cette arrestation débouche sur quelque chose de très conséquent et ce ne peut être que des arrestations de Congolais de premier plan » , explique-t-on chez un opposant. « On ne peut pas se contenter de quelques lampistes ».

    « Les barbouzeries ont toujours existé dans les Etats défaillants. Le Congo est le symbole de cette défaillance, il ne faudra pas être surpris si un coup de balai est mené dans un proche avenir »,  explique un ministre ivoirien, présent au sommet Union européenne – Union africaine à Bruxelles.

    Dans le camp du candidat malheureux à la présidentielle de 2018, on se montre dubitatif face à ce scénario. « Je n’y crois pas trop », explique un proche de MAFA. Seule certitude, un vrai passage par les urnes avec de vrais adversaires sera insurmontable pour l’actuel président. Peut-il aller jusqu’à ce grand coup de balai ? Ce serait énorme. En même temps, depuis son intronisation tout a été hors norme. La manière dont il a renversé la Cour constitutionnelle, dont il a acheté l’Assemblée nationale, imposé le patron de la Ceni. »

    Aujourd’hui, malgré tous ces efforts, tous ces viols de la Constitution, l’avenir à la tête de l’Etat de l’actuel président est pourtant loin d’être garanti dans un pays où la grogne sociale ne cesse de monter.

    Avec La Libre Afrique

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