Le Dr Denis Mukwege est victime d’un “nivellement par le bas », sport préféré des acteurs politiques congolais. Pour certains compatriotes, admirateurs de l’Homme qui répare les femmes, le médecin de Panzi ne jouit pas de la reconnaissance qui devait lui revenir.
Parmi ceux qui se sont illustrés, prenant la défense du Prix Nobel de la Paix, l’on peut citer Josef Kafuka et Justin Kandanda, deux congolais de la diaspora. Pour ces deux hommes, l’opprobre que les politiciens jettent sur le travail [accusant le médecin de femmes de politiser son action pour quelques gains de l’occident] fait « rire et pleurer » en même temps.
Les deux citoyens congolais dénoncent l’accueil que le gouvernement a réservé au sacre du Professeur Denis Mukwege de cette année, le Prix Nobel de la Paix. A travers son porte-parole le gouvernement a semblé minimiser l’ampleur de cette consécration, qui du reste est le plus grands sacre du monde. « Le Nobel n’est pas une sanctification« , avait lâché le ministre Lambert Mende.
« Quelle misère ! La RD Congo est-elle toujours un pays normal ? Notre image sociétale est-elle en crise? », s’exclament Kafuka et Kandanda !
Quant aux diverses manigances orchestrées contre le Dr Mukwege, les deux compatriotes sont du point de vue selon lequel ceci ne vise que ternir l’image de l’homme, perçu de nos jours comme le plus grand défenseur des droits humains du monde contemporain.
Voici l’intégralité de l’analyse de Josef Kafuka et Justin Kandanda
PRIX NOBEL de la PAIX 2018,
Hommages à un être d’exception.
par Josef Kafuka & Justin Kandanda.
Nous ne pouvons que saluer cette consécration suprême d’un compatriote, qui a tout sacrifié, parfois au risque de perdre la vie, pour sauver des milliers de congolaises, victimes des viols et violences sexuelles diverses. Sous les feux d’actualité, cette reconnaissance et non une sanctification, nous pousse à nous interroger si nous, citoyens Congolais, saluons comme il se doit, le mérite des nôtres qui se distinguent à la fois, par leur courage et leurs actions. Pourtant, célébrer ses héros, paraît comme un acte sacré.
C’est en effet, la meilleure manière d’entretenir un lien utile avec les vicissitudes du passé, avec les événements présents et de passer le relais aux jeunes générations.
Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018 a suscité sans surprise, un tollé des réactions. Nombreuses enthousiastes, certaines épidermiques, d’autres virulentes parfois banalisantes comme celles exprimées par quelques officiels de Kinshasa, reprochant au célèbre gynécologue d’avoir « politisé » son œuvre, pour quelques gains venus de l’Occident. En rire ou en pleurer ?
C’est totalement méconnaitre l’homme que de considérer cette consécration qu’il obtient aujourd’hui et les hommages qui s’en suivent comme une vulgarisation de tout son parcours. Médecin, activiste, il n’a jamais répugné de travailler avec de structures médiatiques du monde moderne, pour alerter, pour faire entendre sa voix, pour passer son message.
En contact au quotidien avec les conséquences de la barbarie humaine, peu lui importe les exigences éthiques, il parle, il dénonce, il éclaire. C’est ainsi qu’il est devenu au sein de son apostolat un personnage public. Voilà pourquoi il a été surnommé « le réparateur des femmes violées ». Il ne l’a pas reclamé, il ne l’a jamais revendiqué.
Mais dans un contexte de suspicion qu’est devenu ce Congo (Rdc), l’on pourrait ici tout confondre. Mukwege dénonçant la bêtise humaine joue exactement le même jeu que celui de dirigeants politiques défaillants: le paraître. Il faut tout de suite tordre le cou à cette confusion, apporter des éléments de réponses pour sa défense dans le procès malsain que lui intente depuis quelques années déjà, des petits esprits. Au travers de la virulence de ces réactions tantôt banalisantes, tantôt dénigrantes, l’on trouve quelque chose que monsieur-tout-le-monde aurait tendance à ignorer: la manière de concevoir la dignité des personnes.
Un observateur averti de la sphère politique congolaise ne croyait pas si bien dire, affirmant que « le champ politique congolais s’est transformé en espace de lutte constante pour le repositionnement. Les acteurs s’emploient plus à s’évincer qu’à s’engager durablement pour une cause commune … Le nivellement par le bas passe ainsi pour leur sport favori. » Et depuis bien avant sa proclamation comme Nobel de la Paix, Dr Mukwege est la cible de cette stratégie du nivellement par le bas; stratégie déployée et entretenue par de milieux officiels qui ne s’en cachent pas, oubliant au passage que pour des centaines de milliers de familles congolaises, le gynécologue de Panzi est devenu un héros. Et un héros n’a pas besoin de vouloir, pour faire souffrir. Seule son existence suffit pour provoquer, pour enrager, par jalousie, après tout. D’où, cette flèche du porte-parole du gouvernement congolais, « le Nobel n’est pas une sanctification« . Quelle misère ! La RD Congo est-elle toujours un pays normal ? Notre image sociétale est-elle en crise?
Ailleurs, le lauréat du Nobel de la Paix est célébré, car cela n’arrive pas tous les ans. Ici, nous sommes devenus velléitaires, vaniteux, frileux, incapables d’infléchir les ordres. Point n’est besoin de passer en revue ces déclarations ou ces faits d’actualité connus. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’oeil une fois encore, sur cette scène politique congolaise. Nous pouvons invoquer certes, la légereté ou la maladresse de certains acteurs politiques, le caractère contradictoire ou contestataire des opinions exprimées. Un exercice normal en démocratie, dirait-on. Mais derrière la persistance et l’intensité de réactions politisantes, nous trouvons-là une curieuse manière de concevoir la dignité humaine.
Quoi de plus ordinaire qu’un médecin s’interroge sur l’origine, les causes d’une pathologie (ou d’une épidémie) constatée dans son contexte d’intervention ! Quoi de plus normal que le même médecin propose après diagnostic, la voie vers la guérison ! Quoi de plus logique qu’il puisse solliciter le soutien nécessaire pour faire face au drame qui affecte non pas un patient, mais des centaines, des milliers des familles ! Ce médecin n’a-t-il pas le droit de s’intérroger ? Il ne doit pas parler ? Et dès qu’il explique, il politise sa mission ? Nous voici face à la servitude.
Nous voilà devant une autre tentative de caporalisation professionnelle, jugée pourtant incompatible avec la dignité du citoyen, et qui a été longtemps dénoncée dans toutes les sociétés véritablement démocratiques. Cette tendance à vouloir régenter, jusqu’à la remise en question des droits élémentaires de travailleurs honnêtes et méritants, doit être stoppée. Au Congo (Rdc), les voies pour placer des bornes à la dépendance des professionnels vis-à-vis du politique devraient plus que jamais interpeller les consciences. L’Ordre des médecins congolais devrait se sentir concerné par ce mauvais procès intenté à Mukwege et se placer en état d’alerte. Car, il s’agit de l’image de l’un de ses membres, et non des moins éminents, qui est en cause. Et la solution ne peut être envisagée qu’en étant attentif à la forme qu’y prend l’exigence de dignité. Des politiques congolais ont pris la fâcheuse habitude de l’oublier.






