Accès Humanitaire

    « Personne n’est intouchable au Congo. C’est juste une question de temps. Que toutes les personnes qui commettent des violations des droits de l’homme, sachent qu’un jour, elles devront répondre devant la justice. » Ce sont les propos d’Adama Konate, parlant du travail des droits de l’homme et de lutte contre l’impunité des crimes, qu’il a exercé les 6 dernières années, au sein du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) en République Démocratique du Congo.

    Actuellement Officier des Droits de l’homme en charge de la protection des civils pour le BCNUDH dans la province du Sud-Kivu et du Maniema, Adama Konate s’apprête à quitter la RDC dans les 2 ou 3 prochaines semaines. En RDC depuis 2016, et au Sud-Kivu depuis juin 2019, son travail a consisté ces dernières années à mettre en place des stratégies, et soutenir la stratégie de la Monusco, en ce qui concerne la protection des civils. LaPrunelleRDC.info l’a rencontré au Quartier Général de la Monusco à Bukavu. (Interview)

    LaPrunelleRDC.info : En quoi consiste votre travail au sein du BCNUDH ?
    « Formation, accompagnement et coaching…. »

    Adama Konate : Mon travail au sein du BCNUDH consiste à mettre en place des stratégies, et soutenir la stratégie de la Monusco en ce qui concerne la protection des civils. Mon rôle est donc de mettre en place des mécanismes d’alerte précoce, sur tout ce qui concerne la protection des civils, c’est-à-dire les attaques des groupes armés, des cas de viol, d’enlèvements, également les menaces. Avoir ces informations et mettre en place des mécanismes pour pouvoir nous remonter ces violations, mais également les prévenir. Mon rôle consiste à également discuter avec les différents partenaires de la Monusco, que ce soit la PNC, les FARDC, afin de faire un plaidoyer pour nous rassurer que les alertes que nous avons eues, puissent avoir une réponse appropriée, dans un temps utile.

    Mon travail ici, je peux le résumer sur 4 piliers : C’est notamment cet appui au mandant de la protection des civils de la Monusco, la mise en place des mécanismes concrets d’alerte précoce au sein des communautés, la prévention et la réponse aux menaces. Deuxièmement, faire le monitoring, c’est-à-dire le suivi de la situation des droits de l’homme, la protection des droits de l’homme, l’appui au renforcement des capacités des institutions congolaises au niveau provincial, au Maniema et au Sud-Kivu, pour pouvoir mieux protéger, mieux garantir les droits de l’homme pour chaque citoyen congolais. Le troisième volet c’est la protection des victimes et des témoins, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme. Donc mon travail consiste à collaborer avec ces défenseurs des droits de l’homme, afin qu’eux aussi puissent bénéficier de la protection de leurs droits, avant, pendant et après le procès. Et mon dernier travail ici consiste au renforcement des capacités des organisations de la Société Civile, sur les droits de l’homme. Donc la formation, l’accompagnement et le coaching.

    LaPrunelleRDC.Info : depuis combien d’années travaillez-vous au BCNUDH ?

    Adama Konate : Je suis au BCNUDH depuis 2016. Je suis donc dans ma 6ème année.

    LaPrunelleRDC.info : Et où avez-vous travaillé avant le Sud-Kivu ?

    Adama Konate : Le Sud-Kivu c’est ma troisième province. J’ai eu le privilège de travailler dans l’ancienne province du Katanga. J’étais basé à Kalemie au Tanganyika, et je couvrais toute la province de l’ex Katanga. Après ça, je suis allé à Kinshasa, où j’ai travaillé pendant 2 ans au Head Quater, donc au Bureau central de la Monusco, et depuis juin 2019 j’ai commencé à travailler au Sud-Kivu.

    Cependant, je peux rappeler que j’étais dans le staff des Officiers de Droits de l’homme qui ont fait des investigations post Kamuina Nsapu, juste après les événements de Kamuina Nsapu au Kasaï, et amené à la réouverture du Bureau des Droits de l’homme.

    LaPrunelleRDC.info : Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir contribué à la protection des droits de l’homme ici au Sud-Kivu particulièrement ?

    Adama Konate : Vous savez, le travail des droits de l’homme n’est pas toujours bien compris. Il y a des gens qui pensent qu’on vient pour faire libérer les casseurs, ou encourager la Société Civile à faire n’importe quoi. Certains aussi pensent qu’on soutient les autorités contre la population. Donc notre travail est diversement apprécié en fonction des préjugés que les gens ont. Mais il faut savoir que notre travail consiste à appuyer le Gouvernement congolais dans la promotion, la vulgarisation et la protection des droits de l’homme, y compris les femmes et les enfants. Après 6 années passées en RDC, je pense que c’est un sentiment partagé pour moi, en ce qui concerne les résultats que nous avons atteints.

    Je suis content d’une part parce qu’on a pu participer à la première passation de pouvoir démocratique dans ce pays. Le Bureau des droits de l’homme a joué un rôle important de monitoring, d’accompagnement de la Société Civile, des mouvements citoyens, et des institutions de l’état, pour avoir une transition pacifique en RDC. Et je suis fier d’avoir fait partie de cette équipe qui a travaillé au cours de cette période très difficile en RDC.

    Au-delà de ça, il y a aussi un challenge qui m’est resté. Vous savez que la RDC est un pays qui n’est pas comme les autres. C’est un pays très vaste, où les infrastructures, -excusez-moi-, font défaut, où quitter la capitale pour venir dans l’Est ça fait deux heures et 10 minutes de vol. Vous comprendrez que c’est un pays où les infrastructures, routières, scolaires, manquent. Et cela fait que l’atteinte des résultats n’est pas aussi palpable, visible, comme dans certains « petits pays » en termes de superficie, où par exemple on arrive à avoir accès à tous les endroits. Aussi, le Sud-Kivu est parmi les plus grandes provinces en termes de superficie, et la plupart des territoires ne sont pas accessibles par voiture. Les interventions par hélicoptère sont bien et ça nous permet d’être là dans un temps record, mais en termes de praticité les résultats restent mitigés, parce qu’il faut faire des déplacements à pied à l’intérieur, par exemple à Shabunda, à Fizi.

    LaPrunelleRDC.info : C’est donc un travail difficile….

    Adama Konate : C’est donc difficile d’atteindre les résultats de façon durable. Parce qu’on appuie les FARDC, la Société Civile à faire des descentes, mais après on se retire. Parce qu’on ne peut pas rester là-bas parce que l’approvisionnement c’est difficile. Et quand on se retire, les groupes armés reprennent la place.

    C’est donc ce sentiment-là qui dérange, celui de n’avoir pas atteint tous les objectifs qu’on s’était fixés, mais on reste quand même fier de ce qu’on a fait, notamment en ce qui concerne la mise en place et l’accompagnement de la CNDH [Commission Nationale des Droits de l’Homme], mais aussi les différentes organisations de la Société Civile du Sud-Kivu, comme le Cadre de concertation avec qui on travaille en étroite collaboration. Mais aussi des mouvements citoyens, et même au niveau du Gouvernement provincial, où on a eu quand même un Ministre des droits humains. J’ai vraiment apprécié cela. Également au niveau de la prise en charge des cas de violences sexuelles, on a ici un groupe de travail qui fournit des résultats extraordinaires. Mais aussi au niveau de la lutte contre l’impunité, sans vouloir nous vanter, on a pu faire condamner des généraux, des colonels, et des responsables des groupes armés qui se croyaient en un certain temps, intouchables, comme Koko di Koko et autres, grâce à l’appui du BCNUDH, et la Task force Justice internationale avec laquelle on travaille. Ce sont des résultats qui sont importants. On a aussi constaté une réduction des cas de violation des droits de l’homme en ce qui concerne les FARDC et la PNC. Ce sont des résultats palpables, même si ça reste peu compte tenu de l’immensité de la tâche.

    LaPrunelleRDC.info : Vous venez de parler de plusieurs réalisations. Laquelle vous a le plus touché particulièrement ?

    Adama Konate : Personnellement, j’ai une satisfaction pour deux sujets importants. D’abord au Tanganyika, entre 2016 et 2017, lors des conflits intercommunautaires entre les Twa et les Luba. Et les communautés s’affrontaient par milices interposées. Il y a eu plus de 200 femmes violées. Et je suis fier d’avoir participé à la collecte et à la prise en charge. Parce que j’ai facilité l’évacuation, par la Monusco, de plus d’une soixantaine de femmes qui avaient subi des cas de violences sexuelles graves, qui avaient des traumatismes, et qui avaient besoin de prises en charge chirurgicales. Et cela a été fait pas la Fondation Panzi (que je remercie au passage), qui nous a aidé à prendre en charge ces femmes-là qui avaient subi ces traumatismes par-delà cela, on a pu travailler avec la cellule spéciale en charge des violences sexuelles qui était au bureau du Procureur au niveau de Kalemie, et nous avons eu des condamnations des personnes qui avaient été à la base de ces violences. Et pour moi, voir le sourire sur le visage de ces femmes-là, c’est quelque chose qui m’a marqué et qui me marquera toute ma vie. Je n’avais pas prévu ça, mais c’était un travail difficile, très difficile même, mais enfin, grâce aux efforts conjugués par les uns et les autres, et grâce à l’appui du Gouvernement congolais et à la Fondation Panzi aussi qui nous a accompagné dans la prise en charge psycho-sociale des cas, on a pu avoir ces résultats.

    Et ma deuxième satisfaction, toujours dans le cadre de la lutte contre l’impunité, c’est la condamnation de Batumike dans le procès de Kavumu.

    C’était un procès difficile, des violences sexuelles des enfants de 3 mois, et c’était un député, et il a été condamné par la justice congolaise. Tout cela nous permet de nous inscrire en faux contre tous ceux-là qui disent que la justice est corrompue, non. Il y a des officiers qui avaient beaucoup d’influence, -parce que Batumike était chez-lui à Kavumu-, mais ils ont été condamnés. De même pour Luc Mulimbalimba, dont ses garde-corps avaient tiré sur des civils qui ont été tués. Il a lui aussi été condamné, bien qu’il fût un député d’un parti au pouvoir.

    C’est pourquoi je dis qu’il y a eu un certain nombre de résultats. Personne n’est intouchable au Congo. C’est juste une question de temps. Cela a été un signal fort pour toutes les personnes qui commettent des violations des droits de l’homme. Qu’elles sachent qu’un jour elles devront répondre devant la justice.

    LaPrunelleRDC.info : Qu’est ce qui devrait être fait selon vous pour que les choses avancent, et que ces violations puissent définitivement cesser, ou alors diminuer sensiblement.

    Adama Konate : Beaucoup a été fait comme je vous l’ai dit. C’est une mission où on dépense beaucoup plus. Mais il y a la réalité du terrain. C’est qu’il faut savoir, est que la protection des civils est la responsabilité première du Gouvernement congolais. C’est lui qui a, en premier temps la responsabilité dans la formation des unités de la Police et de l’armée notamment sur les droits de l’homme, dans la sensibilisation, et dans la mise en place des infrastructures afin que ces derniers puissent assurer la sécurité de la population, qui a fait confiance en ces dirigeants.

    Les partenaires au développement, notamment même la Monusco qui a la charge d’accompagner le Gouvernement congolais, doivent aussi continuer ses appuis. Personne ne doit dire : « On a beaucoup fait nous sommes fatigués, » parce que les problèmes sont encore là. Donc la Monusco doit continuer dans cet élan, et elle est plus que jamais déterminée. Vous savez que sa stratégie de sortie qui a été mise en place conjointement avec le Gouvernement congolais, contient 18 objectifs généraux à atteindre, afin de se retirer au bout de quelques années. Et cela doit se faire progressivement.

    Il y a le processus de justice transitionnelle qui est en cours. Peut-être dommage parce que je ne serai pas là dans les mois à venir et dans les jours à venir pour pouvoir assister à cela, mais qui est quand même quelque chose. Il faut que la population puisse comprendre ce qui s’est passé. Les personnes qui ont fait cela doivent le reconnaître. Et donc tous les 4 piliers de la justice transitionnelle doivent être miss en œuvre de façon concertée. Pas en courant, mais de façon méthodique, afin que les plaies puissent être pansées, et passer à autre chose. Les personnes qui ont commis des crimes doivent aussi répondre devant la justice, parce que cela va permettre d’améliorer le climat, et même les justiciables en leur justice. Ça c’est quelque chose d’important et qui en mon sens n’est pas négociable. La justice transitionnelle doit être accompagnée, comme le fait le BCNUDH, et même le Gouvernement congolais. Il y a le Ministre des droits humains qui est engagé dans ce processus.

    LaPrunelleRDC.Info : Et dans cette lutte pour la protection des droits de l’homme, pouvons-nous savoir quelle est la personnalité que vous avez prise comme modèle, et que vous souhaiteriez suivre dans ses actions ?

    Adama Konate: J’ai toujours été impressionné par mon Directeur actuel, celui du BCNUDH. C’est quelqu’un pour moi, qui par son humilité, par sa manière de collaborer avec les autorités, et par son coaching, m’a impressionné et m’a séduit. J’ai bien aimé ce côté-là de lui, et il a fait que je puisse être où je suis aujourd’hui. C’est quelqu’un qui a une bonne formation, une bonne connaissance des droits de l’homme, qui a une bonne connaissance de la justice internationale, et qui se fait entourer par des personnes en qui il place sa confiance, il délègue des pouvoirs et il apporte son soutien jour et nuit. Il a aussi une bonne capacité de plaidoyer, il sait parler aux gens, que ce soit aux autorités ou au staff.

    Je peux vous donner un exemple, pendant la période électorale de 2018, il y a eu des arrestations. Pour ceux qui ne le savent pas, le pouvoir en ce moment agissait avec beaucoup plus de force, y compris l’armée et la Police. Et j’ai fait le monitoring, j’ai vu là où les personnes étaient détenues, et on a essayé d’aller intervenir, mettre en avant les instruments juridiques. Et je me suis fait taper dessus. Ils m’ont frappé dans le bon sens du terme, par des militaires FARDC. Je suis revenu au bureau, tout le monde était remonté, mais il m’a appelé dans son bureau, il m’a parlé que c’est des choses qui arrivent. Il m’a expliqué ce dont j’avais droit si je voulais porter plainte. Mais par-dessus tout, il m’a soutenu, il m’a dit : « imagine-toi ceux qui sont dehors. Toi tu as la protection de la Monusco. Imagine-toi ceux qui sont dehors ce qu’ils ressentent souvent.» Quand il m’a mis devant ce fait là, j’étais plus inquiet à vouloir faire libérer ceux qui sont dehors, à ma place moi-même.

    Mais j’ai également apprécié quelqu’un que j’ai côtoyé pendant les six dernières années, le prix Nobel de la paix Denis Mukwege. C’est quelqu’un que j’ai rencontré depuis que je suis au Congo, donc depuis 2016. Au début on ne se connaissait pas, après c’était un coup de fil, et après on a commencé à nous rencontrer presque régulièrement. Il m’a apporté un soutien tant professionnel que personnel. Je peux vous dire que je l’aime pour son abnégation, pour sa détermination à ne rien lâcher. Et ça, il me l’a appris. Il m’a dit « Si tu crois en quelque chose, et que tu sais que c’est juste, les gens diront ce qu’ils veulent, ils te menaceront. Mais toi, tu dois croire que ce que tu fais est une bonne chose, et tu dois persévérer.» Et quand je dis que je quitte le Congo, c’est quelque chose qui me fait beaucoup plus mal, je ne vais pas le revoir d’ici tôt. Même si je pense qu’on pourra garder contact. J’apprécie surtout sa simplicité, quelqu’un qui considère l’avis de tout le monde. Parfois quand je le rencontre, il me dit Adama qu’est-ce que tu penses sur quelque chose. Je lui dis mais qu’est-ce que je peux penser. Il me dit mais oui, j’ai besoin de savoir ton avis. Et quand je lui dis ce que je pense, il me dit effectivement je n’avais pas pensé à ça comme ça, je n’avais pas pensé de ce côté-là. Et j’ai une grande estime pour lui à cause de cela.

    LaPrunelleRDC.info : Vous venez de dire que vous comptez quitter la RDC, quelle sera votre prochaine mission ?

    Adama Konate : Ma prochaine mission sera certainement le Soudan. Je pars rejoindre le bureau du Haut-Commissariat, et je pense que je vais continuer à faire mon travail, dans un contexte différent, pas dans une mission intégrée, mais dans un bureau des Nations-Unies, avec la mission de monitoring qui est actuellement dans le Nord Soudan. Je serai basé normalement dans la province du Darfour. C’est un nouveau challenge, mais je vous assure que la RDC va beaucoup me manquer.

    LaPrunelleRDC.Info : 6 ans après votre mission, quel message adressez-vous à vos collègues qui travaillent dans l’humanitaire ?

    Adama Konate : A mes collègues dans l’interne, je voudrai leur dire que le travail que nous faisons est un travail noble. Tout le monde n’a pas la chance de se retrouver aux Nations-Unies. Et tout le monde n’a pas la chance d’apporter son soutien à la population qui en a besoin. Le peuple congolais a besoin de soutien. Je demande à mes collègues de continuer le travail qu’ils font, d’accroître encore leurs efforts, de continuer leur collaboration. Quand je travaille avec des organisations de la Société Civile, les FARDC ou la PNC, je le fais de manière participative. Je leur demande qu’est-ce qu’ils pensent qu’on peut faire. Parce qu’on ne peut pas aider quelqu’un sans l’impliquer.

    Autre chose, c’est la Société Civile avec laquelle j’ai travaillé ces dernières années, que ce soit à Kalemie, à Lubumbashi, à Kinshasa, à Kananga, à Kamina, et ici au Sud-Kivu, partout où je suis passé, je voudrai leur dire qu’ils sont sur la bonne voie. Et la Société Civile, à mon sens, doit être plus constructive. Moi j’ai soutenu la Société Civile, mais dans ma stratégie de soutien, ce n’était pas une Société Civile qui ne fait que décrier. C’était une Société Civile qui fait des propositions. Et elle doit continuer à faire des propositions aux autorités pour que la situation puisse s’améliorer. Le Président de la République et son Gouvernement sont tous ouverts, et elle doit saisir cette fenêtre là pour donner son avis sur les questions liées à la gouvernance, pour permettre au pays d’avancer.

    Et à la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) qui est la contrepartie du BCNUDH au sein des institutions congolaises, de continuer à faire le travail que nous faisons. Il n’y a pas de décentes dans les prisons sans la CNDH, il n’y a pas de formation sans elle, ni des séances de plaidoyer aux autorités. On doit continuer à accompagner le Gouvernement à continuer son travail de lutte contre l’impunité, dans la démocratie, et dans la préservation des acquis démocratiques, et à continuer à respecter les libertés fondamentales.

    LaPrunelleRDC.info : Etes-vous optimiste quant au changement de la situation des droits de l’homme en RDC dans les jours à venir ?

    Adama Konate : Pour dire la vérité, j’ai même plus que de l’espoir. Je suis arrivé dans une période difficile, où même pour nous le BCNUDH, on n’arrivait même pas à visiter tous les cachots. On n’arrivait pas à avoir certaines autorités. Mais aujourd’hui avec le nouveau pouvoir, je pense que la tâche est beaucoup plus facile. Pour ma part, j’ai accès à la région militaire, au Gouvernorat, à toutes les autorités, pour leur dire ce que le BCNUDH pense, et l’accompagnement qu’on peut apporter. Pour la Société Civile, on fait toujours des réunions, et on peut compter le nombre de manifestations qu’elle a eu pour fustiger ceci ou cela. On ne peut par contre pas compter le nombre de rencontres qu’il y a eu entre la Société Civile et différentes autorités à différents niveaux. Ça, ce sont des indicateurs importants qui montrent une évolution. Avant cela n’était pas possible. Il y avait les autorités d’un côté, et la Société Civile de l’autre. Et les réponses aux problèmes étaient soit inadaptées, soit carrément il n’y avait pas de réponse. Aujourd’hui on a accès aux cachots militaires, aux cachots civils, tous les cachots de la ville de Bukavu ; sauf les cachots qu’on ne connait pas. Heureusement, on n’a jamais entendu qu’il y a des cachots cachés ici à Bukavu. On arrive à faire des descentes avec les magistrats pour faire des investigations. Au niveau de la lutte contre l’impunité on a mené pas mal d’investigations conjointes avec les Parquets, on a aussi appuyé pas mal d’audiences foraines où la justice a condamné les auteurs des crimes graves. Les choses sont en train de s’améliorer. Mais il ne faut pas s’arrêter là-bas. Il faut continuer de s’améliorer, et continuer la collaboration. Mais pendant qu’au niveau du nord du Sud-Kivu on a constaté que la situation des violences sexuelles essaie de s’améliorer, dans le sud de la province ça reste un problème avec les conflits dans les hauts-plateaux, la situation à Fizi. Et maintenant la situation est plus grave dans le Maniema, notamment à Salamabila dans le territoire de Kabambare, où des groupes armés font la loi. Là aussi, il faut mettre en place un réseau de protection solide, afin de pouvoir projeter des actions qui vont permettre de réduire toutes ces formes de violations-là. Il faut prendre en charge ces victimes de violence sexuelle, que les bourreaux soient punis, et qu’elles puissent retrouver leur dignité.

    LaPrunelleRDC.Info : Vous nous avez parlé de votre travail, qu’en est-il de votre famille ?

    Adama Konate : Je suis marié avec une magnifique femme, elle s’appelle Mariam, que j’aime beaucoup. J’ai deux enfants, un garçon de 7 ans et une fille de 3 ans. Je suis né d’une famille nombreuse comme la plupart des africains, j’ai 24 frères et sœurs. J’aurais souhaité qu’ils viennent vivre avec moi ici au Congo. Mon épouse et mes enfants ont eu la chance de vivre avec moi quand j’étais encore à Kinshasa. Ils ont eu également la chance de visiter Bukavu. De tous les pays qu’on a visités, ils ont beaucoup apprécié le Congo, et à l’Est ils ont beaucoup apprécié le climat. Quand on se trouve ici, on se croirait à la maison. Quand je mange dans la rue je ne me dis pas voilà je viens de la Côte d’Ivoire, non. Je me dis le Congo c’est mon pays.

    LaPrunelleRDC.Info : Et votre travail, vous permet-il de passer assez de temps avec votre famille ?

    Adama Konate : Malheureusement, la famille, c’est le revers de ce travail humanitaire que j’ai commencé depuis 12 années. C’est très difficile pour la famille. J’ai de la chance, mon épouse est très courageuse, c’est une femme battante, qui accepte la situation. Moi-même à sa place je ne sais pas si je l’aurais acceptée. Parce qu’on se voit très peu, chaque 8 semaines, 2 mois, alors que tout le monde a toujours eu besoin d’avoir son Monsieur ou sa Dame à côté de lui. Malheureusement ça n’arrive pas tous les jours, et le travail limite le contact qu’on a avec sa famille. Même les enfants, la dernière fois que je les ai vus, ils m’ont dit :« Papa, tu pars encore tu nous laisse ». J’ai eu les larmes, mais je les ai rassurés « Je pars mais je pars aussi pour vous ». Dieu merci il y a les réseaux sociaux, on peut se parler régulièrement, et même si ce n’est pas physique il y a ce contact-là qui reste.

    LaPrunelleRDC.info : avez-vous le sentiment d’être injuste envers eux ?

    Adama Konate : Pour parler honnêtement, je me dis que je prive ma famille de beaucoup de choses, en voulant aider. Parce que je vous ai dit que ça fait 12 ans que je suis dans l’humanitaire, et avec mon épouse ça fait 10 ans. Mais pendant toutes ces années, notamment les 6 dernières, c’était beaucoup plus difficile. On se voit très peu, mais quand même on essaie d’arranger. Mais franchement quand je suis avec eux, c’est la joie, et je suis encore plus efficace et productif. Je l’ai senti plus à Kinshasa, où j’ai eu la chance d’être avec ma famille pendant presque deux années. J’ai vu comme j’étais heureux, et je me souviens que pendant ces deux années, je ne suis presque pas tombé malade en fait. C’est le petit côté sombre du travail qu’on fait. On aide d’autres personnes, mais en même temps, il y a des personnes qu’on met aussi mal à l’aise.

    LaPrunelleRDC.Info : Quel est votre mot de la fin ?

    Adama Konate : Je ne saurais clore mon propos sans remercier tout le BCNUDH qui m’a permis d’être-là. On n’a jamais été fort seul. On travaille bien dans une équipe. Il y a eu des hauts et des bas, mais par cette tribune je voudrais remercier le Directeur, l’ensemble de mes collègues présents et ceux qui sont partis, et aussi demander pardon à tous ceux que j’ai offensé de façon volontaire ou involontaire. Merci au peuple congolais aussi, qui est le peuple le plus gentil. Parce que chez moi on dit que si tu pars dans un pays où tu trouves beaucoup d’étrangers, ne te pose plus de question, parce que les gens sont bien là-bas, ils sont gentils, parce que si ce n’étais pas le cas, ces étrangers ne seraient pas là-bas. Au Congo je me suis toujours senti chez-moi, c’est pourquoi je voudrai remercier tous les congolais. Je voudrai aussi remercier le Chef du Bureau de la Monusco, M. Karna Soro, parce qu’il fait partie des personnes qui m’ont soutenu dans tout le travail que j’ai fait. Il y a eu des hauts et des bas comme je l’ai dit, mais tous mes échecs n’ont été que des motivations supplémentaires pour m’améliorer. Donc à bientôt, je suis sûr que je reviendrai. Je ne sais pas avec quelle casquette, mais au minimum pour visiter la RDC.

    LaPrunelleRDC.info : Adama Konate, Merci d’avoir répondu à nos questions

    Adama Konate : C’était un plaisir

    Propos recueillis par Museza Cikuru

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