Dix jours après des affrontements entre les FARDC et les miliciens du groupe Twirwaneho et alliés à Minembwe et dans les environs, la situation sécuritaire reste préoccupante dans les hauts plateaux du territoire de Fizi au Sud-Kivu. Une mission conjointe Monusco et gouvernement provincial séjourne à Uvira depuis lundi de cette semaine pour se pencher sur cette situation de Minembwe. Mais quel est l’appui que la Monusco apporte au gouvernement congolais dans ce contexte d’insécurité ? Karna Soro est le chef de bureau de la MONUSCO pour le Sud Kivu et le Maniema. Il répond aux questions de nos confrères de Radio Okapi.
Q: Karna Soro, vous êtes à Uvira, la situation reste volatile et imprévisible à Minembwe, après des affrontements entre les FARDC et les miliciens. Qu’est-ce que la Monusco a concrètement fait aux cotés de l’armée régulière pour sauver la situation ?
Karna Soro : Dans un premier temps, je pense que c’est vraiment regrettable ce qui s’est passé puisque depuis des mois, la Monosco, sur instruction de Madame la Représentante a mis en place un plan d’action. Nous travaillons avec les communautés. Il y a eu plusieurs rencontres avec les communautés dans les Haut-Plateaux. Au niveau de Minembwe, Mikenge, il y a eu des rencontres avec des leaders communautaires. Les échanges étaient engagés. Je rappelle qu’il y a encore un mois de cela, la Monusco a même distribué des semences aux populations au niveau de Mikenge, de Bijombo. Des aires de sécurité ont été déterminées par les FARDC pour leur permettre de pouvoir répondre à leurs besoins humanitaires par eux-mêmes, sur la base de toutes ces discussions.
Malheureusement, l’attaque du 10 nous a amené quelque peu à Zéro et Madame la représentante nous a demandé de tout mettre en œuvre pour rétablir le dialogue entre les populations, entre les différents acteurs, de continuer à appuyer les FARDC et de continuer les efforts pour que la paix revienne à nouveau.
Q: Alors que la situation s’est dégradée dans les Hauts plateaux, la population a observé des hélicoptères de la Monusco effectués plusieurs navettes dans l’espace, de quoi il a été question ?
Karna Soro : Bon, je pense que vous connaissez tous l’environnement dans lequel nous opérons, dans les Hauts-Plateaux d’Uvira, tout s’interprète en fonction de votre posture communautaire. Tant que vous avez estimé qu’une action n’est pas en votre faveur ou à celle de votre communauté, vous estimez que c’est contre vous. Donc, ce n’est pas nouveau, je vous rappelle même qu’en 2017, lorsque la Monusco a empêché Yakutumba de prendre Uvira, nous avons quand même été critiqué par les médias locaux et les réseaux locaux. Donc ; ce qu’il y a un peu des tendances et des dynamiques qui sont connues.
Après les attaques du 10, nous nous sommes concertés avec les FARDC et nous avons établi différents scénarios éventuels et donc c’est dans le cadre de travail là que toute la Monsuco se déploie à mobilité pour essayer donc de palier aux FARDC.
Eux, se sont déployées aussi pour assurer un certain nombre des points éventuellement être les points d’attaques. Au niveau de la Monusco, nous avons, grâce aux moyens, une certaine mobilité qui fait que nous passions de village en village dans un premier temps, (ceux qui ont déjà été attaqués), pour faire un point, pour voir quelle est la situation éventuellement et aussi au niveau de ceux que nous estimons sont susceptibles d’être attaqués par des milices, qu’elle soit d’une communauté ou d’une autre.
« …cette fois-ci au moins les acteurs quelque part, font encore preuve d’un peu de retenu… »
Nous faisons ce tour là en permanence en ce moment, pour essayer d’anticiper autant que force peu mais naturellement, vous connaissez la contrainte. L’endroit est très vaste, la sociographie des habitations et habitat humains est compliquée. Comme vous le savez, vous avez des individus qui habitent avec leurs familles sur une colline, quand on vous parle d’un village, c’est une habitation de kilomètre en kilomètre. Des habitants regroupés, il y en a peu en ce genre.
Nous essayons de faire ce que nous pouvons, en articulation avec les FARDC pour voir comment anticiper sur ces attaques-là. Nous avons entendu dire que la Monusco est en train d’évacuer des blessés, de telle ou telle communauté, ce n’est pas le cas. Il y a des procédures en cas d’évacuation et en générale, les évacuations se font avec le CICR, un organisme international impartial, qui est reconnu entant que tel et en coordination avec les FARDC, ces blessés sont évacués. Donc, ce n’est pas le cas. En ce moment, ce que nous essayons de faire, c’est l’opération de dissuasion pour éviter que la situation n’escalade. Et je pense que contrairement à d’autres crises que nous avons déjà eu, en septembre 2019, aussi en Mai, Juin je pense que cette fois-ci au moins les acteurs quelque part, font encore preuve d’un peu de retenu, quoi que nous continuons à déplorer des attaques sur des villages.
Q: En fait, la présence de la Monusco était observée dans certains villages notamment à Kakangara, l’avant-hier, dans un endroit où les FARDC sont pratiquement absentes, qu’est-ce qui expliquerait son déploiement à Kakangara dimanche passé ?
Karna Soro : Mais, écoutez, il y a des citoyens congolais qui habitent Kakangara, qui habitent aussi Kakenge, comme vous-même venez de le dire. Les FARDC ne peuvent pas être partout, ce n’est pas possible. Il y a des milliers des villages et les FARDC ne peuvent pas être partout. Donc les FARDC tiennent un certain nombre des positions et des axes au sol et nous-mêmes déployons par leur mobilité des patrouilles mobiles, qui vont dans ces endroits là pour voir comment la situation se passe ; est-ce que ces personnes ont été victimes d’attaques ou pas et ensuite, nous allons vers un autre endroit. Nous essayons d’anticiper autant que force peut, mais ces villages sont tous des villages qui sont dans la République Démocratique du Congo et qui, quelque part sont sous la responsabilité du gouvernement.
« …quand nous tombons dans cette spirale-là, on ne saura plus arrêter la situation… »
Q: Est-ce que ces informations sont partagées avec les FARDC dans tel ou tel autre village, là où il n’y a pas des FARDC ?
Mais tout à fait, il y a une subdivision du travail. Les FARDC pensent que nous avons des moyens de mobilité qui nous permettent de nous projeter sur les sites où ils ne sont pas. Donc, nous travaillons avec eux, ils savent que nous y allons, et dans tout le cas de figure, nous sommes ici pour les appuyer. Ce n’est pas possible d’avoir une armée partout, on ne saura jamais avoir les soldats FARDC devant chaque maison, devant chaque camp, ça ne sera pas possible.
Je tiens encore au nom de la Représentante Spéciale à saluer le courage des éléments des FARDC qui font tout ce qu’ils peuvent pour contenir cette violence, nous essayons de les appuyer aussi, mais j’insiste encore là-dessus, nous travaillons dans une impartialité absolue.
« …nous pensons que maintenant nous sommes dans la ligne rouge, on ne peut pas maintenir une population dans une souffrance au quotidien… »
Notre objectif est de ramener le calme, que les tensions baissent et que la tendance à tomber dans la spirale, attaque vengeance s’arrête, parce que quand nous tombons dans cette spirale-là, on ne saura plus arrêter la situation.
Donc, nous en appelons à tous les acteurs, que chacun fasse preuve de sagesse, que chacun comprenne que chaque fois qu’il va faire mal aux membres d’une autre communauté, ça va nécessairement entrainer une revanche.
Q: aujourd’hui, l’armée congolaise annonce des opérations musclées contre ces groupes armés qui ont pu attaquer les FARDC, c’est comme un sursaut, un réveil et aujourd’hui quel sera la position de la Monusco par rapport à ces opérations musclées annoncées déjà par les FARDC.
Karna Soro: Dans un premier temps, je ne pense pas que c’est un réveil. Les FARDC sont présentes dans la zone depuis et ils font leur travail comme il se doit. Mais je vous rappelle que ce sont les forces de la République Démocratique du Congo. Tout comme la Monusco, ce sont des militaires professionnels réguliers, ils n’ont pas vocation à aller tirer sur les civils, ou aller tuer des civils. Ils n’ont pas vocation à cela. Donc, lorsqu’ils font preuve de retenue, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas des opérations musclées, c’est une façon de parler peut-être mais les FARDC ont toujours eu une présence dans la zone. Ça c’est très important de le signaler.
Donc, ce n’est pas un réveil, ils ont toujours été là mais c’est seulement nous pensons, [et Madame la Représentante est d’accord avec eux, et les acteurs sur place], nous pensons que maintenant nous sommes dans la ligne rouge, on ne peut pas maintenir une population dans une souffrance au quotidien. Attaquer les uns, les autres, sachant que ça va entrainer des représailles sur ces communautés, ces pauvres paysans. Des milliers des personnes souffrent et ils ne peuvent pas aller aux champs, ils ne peuvent même pas aller chercher de l’eau, parce que simplement on a ces personnes en armes autour d’elles… qu’elles soient de leur communauté ou d’une autre communauté.
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En tout état de cause pour elle, ça implique une insécurité permanente et donc je pense qu’il faut comprendre le message des FARDC dans ce sens… ce que les acteurs dans la zone ont dépassé la ligne rouge et donc c’est le droit de l’État de dire : c’est assez et la Monusco se tiendra aux côtés des FARDC puisque nous sommes là pour les soutenir dans toute initiative qu’ils prendront.