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    « La Société Civile est-ce un lion qui a perdu ses dents ? Ou une institution qui a pris de la rouille en perdant ainsi sa boussole morale ? » C’est la principale question du quatorzième épisode de la chronique « Mon Point de vue » du 31 Janvier 2022 animée par le Pasteur Nicolas Kyalangalilwa. Bref, la Société Civile tel qu’observée en RD Congo ces derniers jours.

    « La société civile est-ce un lion qui a perdu ses dents ? Ou une institution qui a pris de la rouille en perdant ainsi sa boussole morale ? ».

    Dans les années 1980, la Société Civile congolaise était dans sa diversité un des piliers incontestables de l’ouverture démocratique du Zaïre (le nom de la RDC a l’époque).

    Certains des grands noms et organisations de la Société civile ont milité au premier front en organisant le peuple afin de lui permettre de se défaire des chaines de la dictature pour finalement s’ouvrir au multipartisme et ainsi à la démocratie.

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    Ce combat aboutira à l’organisation de la conférence nationale souveraine et aux fameux discours de l’ouverture politique du 24 avril 1990 durant lequel le Marechal Mobutu pleura et nous donna une des citations les plus connues en RDC « comprenez mon émotion ».

    Même si cette joie fut de courte durée à cause des combines politiques, de la corruption, des trahisons, de la situation chaotique dans lequel le pays plongera pendant six années avant que la guerre ne vienne s’installer quelques années plus tard, au moins personne ne niera l’apport du peuple organisé en association (Société civile) dans ce combat de la démocratisation du Zaïre.

    Un élan, qui a mon humble avis, a été freiné et doit à tout prix être ressuscité si le Congo doit jouer son rôle de leader dans le monde et son peuple doit jouir de ses richesses et d’un développement durable, équitable et intégré.

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    Après la guerre de l’AFDL, c’est encore la Société Civile qui sera aux créneaux pour empêcher que Laurent Désiré Kabila ne tombe dans le même piège de la dictature et l’autocratie que celui qu’il était supposé avoir remplacé.

    C’est cette même Société civile qui prendra le devant dans la résistance de la guerre d’agression conduite par les diverses versions du RCD et du MLC. C’est encore cette Société Civile (surtout de l’Est) qui jettera les jalons des discussions de paix qui aboutiront par les accords de Sun City avec l’organisation du symposium sur la paix à Beni-Butembo (un symposium qui initialement devrait avoir lieu à Bukavu mais que les autorités du RCD de l’époque avaient banni).

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    Ils étaient vaillants courageux, intrépides, porteurs des espoirs et aspirations de tout un peuple. Ils n’avaient peur de rien. Beaucoup même ont perdu leurs vies dans ce combat !

    Et pourtant, aujourd’hui on ne la sent plus bouger les lignes, cette Société Civile.

    On ne l’entend plus de la même voix sur les grands sujets sociaux (sauf quand ceux-ci servent les intérêts des politiques). Elle a perdu sa propre voix. On ne la reconnait plus sauf dans sa diversité et multiplicité- il en nait chaque jour une nouvelle !  C’est d’ailleurs ce vide qui explique la situation de marasme dans lequel le pays est plongé et l’ascendance des mouvements citoyens qui essayent tant soit peu de canaliser les aspirations des peuples face à une classe politique cynique et égoïste (ce qui est aussi une bonne chose car la nature a horreur du vide).

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    L’ironie est que beaucoup de ceux qui sont aux affaires aujourd’hui sont le produit de ce mouvement social des années 1980-2000. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment les défenseurs des victimes en sont arrivés à devenir leurs bourreaux ? Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Je note 3 points (et il y en a plusieurs).

    1. La majeure partie des ténors et acteurs de la Société Civile se sont retrouvés (volontairement ou involontairement) actifs en politique, des fois à la tête des partis politiques. Ce qui est une noble cause, il faut bien que des gens de valeurs se retrouvent dans les instances de prise des décisions. Mais malheureusement on a l’impression que la politique les a corrompus, les a engloutis, les a dépouillés de leurs valeurs (si du moins ils en avaient) et au lieu que ce soit eux qui changent comment les choses se font, ils ont finis par être « convertis » au système de prédation qu’hier encore ils dénonçaient. Pire, ce sont ces anciens acteurs de la Société civile qui ont déficelé et corrompu l’âme même de celle-ci, la vidant de son essence, du moins de ce qui en restait, par la corruption. Ceci est une conséquence directe du piège des politiciens qui avaient invité la Société Civile à faire partie prenante de ceux qui ont conduit la transition en RDC (un phénomène qui a commencé déjà depuis la CNS). Et Malheureusement en intégrant l’arène politique,  certains ont pris goût au luxe et attraits du pouvoir. Ils ne voulaient plus les quitter. La révolution tant attendu a été étouffée dans l’œuf.

    2. A partir de ce moment-là la lutte de la Société civile a perdu son sens idéologique, désintéressé et altruiste. Après avoir flirté avec le pouvoir, la Société Civile (organisée) a perdu son idéal. Elle est devenue pour beaucoup (qui ne voulaient pas s’afficher directement en politique ou ne pouvaient pas porter les couleurs des partis politiques) un tremplin à des postes de responsabilités. Quand vous faites des bruits, ceux qui sont aux affaires /pouvoirs vous invitent pour vous calmer. Ils remplissent votre bouche (et vos poches) – et comme on le dit chez-nous une bouche qui mange ne parle pas ! Malgré les maux qui gangrènent notre société, la voix de la Société civile ne s’entend plus sur beaucoup des dossiers (et quand on l’entend, elle n’est plus crainte ni écoutée). Et quand elle s’élève, elle est fébrile !

    3. Un autre phénomène a vu le jour récemment. Par manque d’occupation et de travail décent, certaines personnes (principalement des jeunes) se réclamant de la Société civile (ou mouvement citoyen) « monnayent » leur plaidoyer et combats afin de nouer les bouts du mois. En fait, ils sont devenus des commissionnaires de la misère du peuple ! Il y en a aussi qui ont vu en la création des associations (ONGs) une source de revenu, une nouvelle forme d’entreprenariat social qui a conduit à la création d’une classe moyenne, qui élève des bâtiments çà et là, fruit des divers financements octroyés par les bailleurs des fonds alors que les problèmes sur terrain ne font que se multiplier. Après tout, il faut vivre, si on ne se retrouve pas en politique, alors on reste dans le domaine des projets et le circuit des financements. Ça paie aussi !

    Est-ce qu’il n’y a plus d’acteurs crédibles, désintéressés qui se battent pour des valeurs (idéologie) et le bien du peuple sans rien attendre en retour ?

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    Certes, je crois que la Société Civile en regorge. Mais beaucoup ne haussent plus leur voix de peur d’être confondus avec les ‘véreux’. Beaucoup sont sur terrain et font un travail impeccable. Beaucoup ne veulent plus se faire « rouler » dans la farine par des beaux discours et des combats qui ont l’apparence de la noblesse mais qui en fait ne sont que des stratagèmes pour certains de se faire remarquer (débaucher) et inviter par les puissants pour des accords qui assurent aux uns une survie et aux autres une entrée dans l’arène politique (les salons des décisions).

    Personne ne pense plus au changement ! Beaucoup sont fatigués, déçus et ont perdu espoir à cause des multiples trahisons et déceptions. Mais je suis de ceux qui gardent la foi. La foi en cette jeunesse montante.

    Mon appel est à cette jeunesse qui petit à petit prend conscience de sa responsabilité devant l’histoire et de la difficulté dans laquelle se retrouve notre pays. Ensemble, reformons cette Société Civile pour les enjeux actuels et contemporains.

    Trouvons-lui une nouvelle voix. Réinventons cette Société Civile idéologique, désintéressée et altruiste. Libérons-la de ce joug qui l’asservit aux intérêts calculés des politiques. C’est elle l’âme du peuple. C’est dans cette Société civile que reposent le salut et l’espoir de tout notre pays.

    Mais aurons-nous le courage de combattre tout un système corrompu avec abnégation et sacrifice ? Allons-nous construire les murs pour protéger tout le monde ou des escaliers pour nous sortir de la masse ?

    L’avenir nous le dira…mais pour l’instant, tout le monde est d’accord que la Société civile actuelle ressemble à un lion qui a perdu ses dents, à une institution qui a pris de la rouille en perdant sa boussole morale…il nous revient de la ressusciter. Mais le pourrons-nous ? Aurons-nous ce courage ?

    Rév. Nicolas Kyalangalilwa
    Acteur de la Société Civile

    A propos de « Mon point de vue » 
    « Mon Point de vue » est une chronique d’analyse de l’actualité provinciale, nationale et régionale animée par Nicolas Kyalangalilwa, célèbre, fervent acteur de la Société Civile et diffusée sur la radio Jambo FM émettant sur 92.0 MHz à Bukavu au Sud-Kivu. Elle est diffusée tous les lundis, jeudis et dimanches à 20 heures 15. La rediffusion de ces épisodes se fait les mardis, vendredi et lundi à 8 heures du matin. LaPrunelleRDC vous les proposera également en écrit et en audio.
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