“Inconstitutionnalité et illégalité de la taxe sur la reconstruction de la province au Sud-Kivu”Une tribune de Mr. Byaombe Malumalu Christian avec la collaboration de Mr. Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo (tous chercheurs en droit et activistes des droits humains).
Ces deux juristes constatent que depuis la décision du Gouverneur de la province du Sud-Kivu instituant la taxe sur la reconstruction de la province que les passagers doivent payer à l’embarquement ou au débarquement, toutes les analyses se limitaient à la présentation des faits, de la situation, du refus de s’y conformer de certains passagers etc.
Dans le milieu des juristes, il y a très peu (ou presque pas) d’analyses de cette taxe basées sur la constitution ainsi que les lois de la République. C’est pourquoi Mr. Byaombe M. Christian et Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo (tous chercheurs en droit et activistes des droits humains) ont décidé d’écrire cette tribune qui n’est autre chose que l’analyse de la constitutionnalité et de la légalité de l’institution de cette taxe par le Gouverneur de province ainsi que la légalité de la délégation du pouvoir de percevoir cette taxe à une entreprise privée. En conclusion, ces deux juristes concluent que cette taxe ainsi que sa perception sont illégales! (Tribune)
“Le Gouvernement provincial du Sud-Kivu vient d’instituer une Taxe sur la reconstruction de la province (embarquement et débarquement) fixée à 800 francs congolais par passager. A ce jour, cette taxe fait couler beaucoup d’encre et de salive dans la Province du Sud-Kivu. Entre refus de certains passagers de s’y conformer, insistance de la Province couplée d’un tâtonnement dans le recouvrement de cette taxe, l’institution de cette taxe n’est pas sans soulever des questions d’ordre juridique (en plus d’autres) notamment sur la légalité de celle-ci ainsi que la légalité de son recouvrement par une entité privée (ici une entreprise privée).
En effet, le gouvernement provincial du Sud-Kivu avait décidé de confier la perception et le recouvrement de cette taxe aux Établissements C (une entreprise privée), au nom du « partenariat public-privé » – pour reprendre les termes utilisés – par l’avocat de cette entreprise sur les ondes de la Radio Maendeleo émettant à Bukavu au courant du mois de Septembre. Initialement perçu par les agents de cette entreprise au niveau des sites d’embarquement des passagers, nous avons appris par la voie des ondes en ce début du mois d’octobre 2018 que la Province a décidé de confier le recouvrement de cette taxe à la Direction générale des migrations (DGM) au niveau des frontières de la Province du Sud-Kivu. Ce qui n’est pas sans soulever des questions relativement aux missions de la DGM. Là n’est pas notre préoccupation. Nous allons nous pencher dans cette réflexion sur la légalité de cette taxe ainsi que son recouvrement par un privé.
Le Gouverneur de province est-il compétent pour créer une taxe sur la reconstruction de la province perçu sur les passagers à l’embarquement et au débarquement ?
Dans une intervention sur cette taxe, l’Avocat conseil des Établissements C avait déclaré ce qui suit sur les ondes de la Radio Maendeleo au courant du mois de Septembre : « la loi sur la décentralisation reconnait à la province le droit d’instituer une taxe […]. Le privé remet une somme d’argent à la province et la province lui donne le pouvoir de percevoir auprès des usagers ». On ne peut d’ailleurs qu’être frappé d’étonnement que dans une question concernant l’administration de la province, référence soit faire à la loi sur la décentralisation alors que la province n’est pas une entité décentralisée au regard de la Constitution de 2006 telle que révisée à ce jour. Et si par impossible on parcourt la loi sur la décentralisation (loi organique n°08/016 du 07 octobre 2008), on se rend vite compte qu’aucun texte des 128 articles de cette loi ne reconnait au gouvernement provincial une telle compétence. Il en est de mêmes des 78 articles de la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces (loi n°08/012 du 31 juillet 2008). De surcroit, l’article 37 de cette loi détermine les matières qui ont un caractère règlementaire c’est-à-dire celles de la compétence du gouvernement provincial. L’institution des taxes n’est pas reprise parmi ces matières.
A propos des impôts et taxes, la Constitution du 18 février 2006 prévoit à ce sujet (article 122 (10) que la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature y compris les taxes. Ainsi, selon ce texte, l’institution de la taxe est de la compétence législative et non du domaine réglementaire. C’est ce que reprend d’ailleurs l’article 9 (alinéa 4 et 5) de la loi sur les finances publiques de 2011 (loi n°11/011 du 13 juillet 2011). Cette disposition prévoit : « Conformément à l’article 122 point 10 de la Constitution, les règles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature sont fixées par la loi. Les Assemblées provinciales, les organes délibérants des entités territoriales décentralisées ne peuvent créer ni impôt, ni taxe, ni droit ou redevance » (nos gras). Si nous parlons de la légalité de l’institution d’une taxe par le Gouverneur de province, que dire de plus ? L’article 9 de la loi sur les finances publiques n’est-t-elle pas assez clair comme l’eau des roches ? On sait pertinemment bien qu’en droit administratif, le principe c’est l’incompétence et que toute compétence est d’attribution. La Province ou les entités territoriales décentralisées n’ont pas de compétence pour créer un impôt, une taxe un droit ou une redevance. Voilà ce que prévoit la loi sur les finances publiques.
Toutefois, il convient de mentionner que l’article 2 de l’Ordonnance-loi du 23 avril 2018 (fixant la nomenclature des impôts, droits, taxes et redevances des provinces et des entités territoriales décentralisées ainsi que leurs modalités de répartition) confère au gouvernement provincial la compétence de fixer le taux des impôts, droits, taxes et redevances qui lui sont cédés. Attention ! Il s’agit ici de la détermination du taux des impôts, droits, taxes et redevances cédés à la Province et non d’une compétence de créer un impôt ou une taxe. « Ubi lex distinguit, distinguere debemus » (là où la loi opère une distinction, nous devons en opérer également) dit cet adage juridique latin. Ainsi, si la Province peut fixer le taux de certaines taxes et impôts, elle n’est pas compétente pour en créer. On le voit donc, la création d’une « taxe sur la reconstruction de la province (embarquement et débarquement » par un arrêté du Gouverneur de la province du Sud-Kivu est à la fois inconstitutionnelle et illégale.
Est-ce légal qu’un opérateur privé perçoive d’une taxe ou un impôt ?
La question peut être posée autrement et simplement : qui est compétent pour percevoir et recouvrer un impôt, une taxe et toute autre contribution au regard du droit congolais ?
A ce sujet, la lecture de l’Ordonnance-loi n°010/2012 du 21 septembre 2012 portant réforme des procédures relatives à l’assiette, au contrôle et aux modalités de recouvrement des recettes non fiscales nous est d’un grand intérêt. L’article 5 de cette ordonnance dispose à cet effet : « les opérations de constatation et de liquidation […] des taxes […] sont de la compétence des personnes qualifiées relevant des services d’assiette, appelés taxateurs, et ayant reçu l’habilitation […]. ». Est-t-il envisageable de considérer les « Établissements C », une entreprise privée comme une personne qualifiée relevant des services d’assiette ayant en plus reçu habilitation pour effectuer les opérations liées au recouvrement d’une taxe ? Il nous semble que non. Encore, si la délégation de service public est envisageable en droit, il nous semble que l’opération de perception de la taxe sur la reconstruction de la province (embarquement et débarquement) par un particulier comme cela a été fait par un arrêté du gouverneur de la province du Sud-Kivu n’est pas conforme aux prescrits de la loi sur le partenariat public-privé (loi n°18/016 du 09 juillet 2018). D’abord l’opération de recouvrement de cette taxe semble ne pas rentrer dans le champ définitionnel du partenariat public-privé (article 3 de la loi susmentionnée). Et même si par impossible on venait à affirmer le contraire, il est clair que le choix des « Établissements C » pour percevoir et recouvrer cette taxe n’a pas obéit aux principes auxquels est soumis le contrat de partenariat public-privé. A ce sujet, l’article 7 de la loi sur le partenariat public-privé exige la concurrence dans l’octroi du partenariat, la transparence dans les procédures d’octroi et d’exécution, l’égalité de traitement des candidats été des soumissionnaires, la légalité des prestations etc. Est-ce qu’il y a eu concurrence dans l’attribution de ce contrat aux « Établissement C » (comme exigé par les articles 7, 33 et suivants de la loi sur le partenariat public-privé) ? Est-ce qu’il y a eu transparence dans ce dossier notamment la diffusion suffisante et largement à l’avance des besoins par l’autorité provinciale ? Les particuliers ont-t-ils eu la possibilité de prendre connaissance de ces besoins ainsi que des closes du contrat ? Est-ce qu’il y a eu ouverture publique des offres et la publication des résultats permettant le contrôle de l’impartialité dans l’attribution de ce contrat « aux établissements C » (comme l’exige les article 7 et 9 de la loi sur le partenariat public-privé) ? La sélection des « Établissements C » a-t-elle été conforme aux règles de conclusion du contrat du partenariat public-privé (article 24 et suivant de la même loi) ? Il s’observe une opacité savamment organisée par le Gouvernement provincial du Sud-Kivu dans la conclusion de ce contrat qui n’a rien d’un contrat de partenariat public-privé. Il s’agit purement et simplement d’un arrangement suspect entre le Gouvernement provincial du Sud-Kivu et une entreprise privée pour percevoir une taxe à la fois inconstitutionnelle et illégale !
Dans ce ces conditions, les citoyens peuvent-t-ils être contraints de payer une taxe inconstitutionnelle et illégale au profit d’une entreprise privée sélectionnée dans l’opacité la plus flagrante ?”