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    Fin décembre 2022, la Cour constitutionnelle a autorisé la Ceni à procéder à l’enrôlement des Congolais de l’étranger uniquement en Afrique du Sud, en Belgique, au Canada, aux États-Unis d’Amérique et en France. Pourquoi cette décision est-elle controversée ?

    Pour la Cour constitutionnelle, la sélection des cinq pays pilotes pour l’enrôlement des Congolais vivant à l’étranger n’est pas discriminatoire. C’est ce qui est ressorti de son arrêt du 20 décembre 2022. Si cette décision demeure critiquable sur le fond, c’est plus sa forme qui pose problème. Pourquoi la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a-t-elle préféré saisir la Cour constitutionnelle ? N’y avait-il pas d’autres voies à explorer ?

    En principe, la Ceni ne peut saisir la Cour constitutionnelle que lorsqu’elle lui sollicite l’examen de la conformité à la Constitution de son règlement intérieur. Comme toute autre personne physique ou morale, elle peut également le faire « pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire », selon la Constitution. En revanche, aucun texte législatif ou réglementaire ne donne la possibilité à la Ceni de saisir la Cour constitutionnelle en interprétation de la Constitution. Seuls le président de la République, le gouvernement, le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale, un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, les gouverneurs de province et les présidents des assemblées provinciales sont habilités à introduire auprès de la Cour constitutionnelle des requêtes en interprétation de la Constitution.

    Le controversé « rôle régulateur » de la Cour constitutionnelle

    Pourtant, la Ceni a bien demandé à la Cour constitutionnelle d’interpréter l’article 5 alinéa 5 de la Constitution. Cette disposition stipule : « (…) Sont électeurs et éligibles, dans les conditions déterminées par la loi, tous les Congolais de deux sexes, âgés de dix-huit ans révolus et jouissant de leurs droits civils et politiques. » Et la haute juridiction n’a pas rejeté cette requête. Elle a estimé certes que la Ceni n’avait pas qualité pour la saisir dans ce dossier, mais qu’elle acceptait tout de même d’examiner sa demande en vertu de son « rôle régulateur des pouvoirs ». La Cour constitutionnelle s’est ainsi appuyée sur sa « jurisprudence constante en la matière en vue d’assurer la régularité du processus électoral et le bon fonctionnement des institutions de la République ».

    En 2015, elle avait déjà pris cette même posture. À l’époque, la Ceni l’avait saisie pour interpréter les articles de la loi de programmation d’installation des nouvelles provinces et de la loi électorale. Une année plus tard, la commission électorale l’avait saisie de nouveau au sujet des délais constitutionnels d’organisation des élections. Dans ces deux cas, la Cour constitutionnelle avait toujours déclaré recevables les requêtes de la Ceni.

    Cette posture de la Cour constitutionnelle est problématique. En RDC, aucun texte n’accorde expressément à cette haute juridiction du pays ce « rôle régulateur » de la vie publique, comme c’est le cas par exemple au Bénin. Mais la Cour constitutionnelle congolaise continue pourtant à brandir ce pouvoir pour créer de nouvelles règles. C’est pourtant au président de la République que la Constitution congolaise attribue cette responsabilité d’« [assurer], par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’État ».

    Revenons à l’objet de la question : l’enrôlement des Congolais de l’étranger. C’est une matière reprise dans la Constitution, mais détaillée et mieux organisée dans la loi portant identification et enrôlement des électeurs ainsi que dans les mesures d’application de cette dernière. N’aurait-il pas été judicieux pour la Ceni de solliciter plutôt au Conseil d’État l’interprétation de ces textes que de saisir, sans fondement juridique clair, la Cour constitutionnelle ? D’autant que le Conseil d’État est compétent pour interpréter les lois et les actes réglementaires.

    La Cour constitutionnelle et la Ceni sont-elles complices ?

    Le choix de la Ceni de se tourner toujours vers la Cour constitutionnelle paraît être politique. Chaque fois que la seconde est saisie par la première, c’est un feu vert qui est toujours accordé. Parfois, au détriment des droits fondamentaux des citoyens. En occurrence, pour le droit d’être électeur lorsqu’un Congolais vit à l’étranger, la Cour constitutionnelle précise désormais que « tous les Congolais ont le droit d’être électeur et de bénéficier, sauf cas de force majeure, de services de la Ceni pour se faire identifier et enrôler ».

    Autrement dit, comme la Ceni dit ne pas être à mesure d’organiser l’enrôlement des Congolais dans toutes les 66 missions diplomatiques de la RDC dans le monde, la Cour constitutionnelle l’autorise à le faire dans cinq pays pilotes qu’elle-même, la commission électorale, a choisis. Cette décision de la Cour constitutionnelle offre à la Ceni une large marge de manœuvre pour déterminer qui peut être électeur et qui ne peut pas l’être, en s’appuyant sur la « force majeure ».

    « S’arroger les prérogatives de choisir les Congolais de cinq pays et discriminer les autres compatriotes vivant à l’étranger sans aucune loi y relative est une violation manifeste de l’article 5 alinéa 5 de la Constitution », selon le Panel des experts de la société civile, une organisation de la société civile congolaise, qui avait saisi, le 15 décembre 2022, la Cour constitutionnelle contre la décision de la commission électorale portant publication du calendrier électoral. Mais la haute juridiction est restée muette sur la question. Elle n’en a, au moment où nous écrivons ces lignes, réservé aucune suite. Elle aurait pu joindre les deux requêtes – celle de la Ceni et celle de cette organisation de la société civile -, les deux portant sur un même objet.

    Qu’en est-il de l’inclusivité du processus électoral ? En 2016, la même Cour constitutionnelle avait autorisé le report des élections sine die pour notamment garantir l’inclusivité des Congolais de l’étranger, le temps de pouvoir les identifier et de les inscrire sur les listes électorales. Cette option sera finalement abandonnée deux ans plus tard. Or, en limitant l’identification et l’enrôlement des électeurs aux seuls Congolais résidant dans ces cinq pays étrangers, la Cour constitutionnelle pèche contre l’inclusivité du processus électoral qu’elle disait, hier, vouloir garantir.

    Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle opte donc pour une inclusivité partielle et progressive. Un pas dans la bonne direction ou un précédent dangereux ? En tout cas, cette décision d’exclure une partie des Congolais de l’étranger du processus électoral parce qu’ils ne vivent pas dans les cinq pays pilotes risque de servir de base juridique suffisante pour ne pas non plus inscrire sur les listes électorales certains citoyens se trouvant dans des zones en proie à la violence armée, en Ituri et au Nord-Kivu.

    Groupe d’étude sur le Congo (GEC)

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