La notoriété de la diplomatie rwandaise est quelque peu fragilisée ces derniers mois, et la sacralité de sa version des faits dans la région des grands-lacs semble avoir été frappée de plein fouet suite à la mise en lumière de l’implication de Kigali dans l’invasion du territoire congolais par le M23. Derrière cette tendance infernale du régime de Paul Kagame, trame la silhouette du lauréat du Prix Nobel de la Paix 2018, le Dr Denis Mukwege.
Il y a peu, cela paraissait inimaginable que le Rwanda finirait par perdre sa crédibilité à l’échelle internationale. Ses allégations, autrefois paroles d’évangile, sont désormais soumises à une contrevérification et font l’objet de controverse. Ceci ne fait l’ombre d’aucun doute : une autre voix sort du lot, et parait plus plausible.
Etabli depuis des décennies comme médecin dans l’Est de la République Démocratique du Congo, le Dr Denis Mukwege s’est distingué par son implication dans la prise en charge holistique des survivantes des violences sexuelles. Il est un témoin permanent – et parfois victime – du conflit qui sévit dans la région des grands-lacs depuis la fin du 20e siècle, ce qui le prémunit d’une parfaite connaissance la problématique géostratégique au centre de cette escalade de violences.
Autrefois reconnu pour sa main chirurgicale, douée dans la réparation des organes génitaux détruits par des actes de violence sexuelle commis avec extrême violence, le Dr Denis Mukwege a fini par ôter la blouse, endosser sa veste et aborder le secteur du plaidoyer. Ce terrain diplomatique, qu’il dit avoir rejoint pour attaquer la violence sexuelle par ses racines, semble lui avoir réussi. Des portes des grandes chancelleries occidentales lui ont été ouvertes, et pas mal de dirigeants du monde savent l’écouter à la lettre.
Par cette astuce le Prix Nobel a certes réussi à révéler au monde la gravité de la situation relative au viol utilisé comme arme de guerre, mais il a également mis les noms sur les principaux instigateurs de ce conflit dévastateur ! Parmi ceux-ci, il n’a guère épargné le Rwanda de Paul Kagame, principal acteur de la violence.
Un contrepoids réel du régime de Kigali
Si le plus souvent le lobby rwandais a tu la vérité sur l’interminable guerre à l’est de la République Démocratique du Congo, ceci n’a que cessé à la vitesse d’un éclair depuis l’entrée sur scène du gynécologue de Panzi. Grâce à son plaidoyer, le Rapport Mapping, qui liste les crimes commis en RDC entre 1993 et 2003, a refait surface ; chose qui donne une douche froide au pouvoir de Paul Kagame. En effet, l’armée rwandaise est l’une des parties les plus citées dans ce chef-d’œuvre ayant sanctionné un travail mené sur terrain par des experts des nations unies, de 2007 en 2010.
Durant les dernières semaines de l’année 2022, le Rwanda a connu une série de revers diplomatiques. Pourtant longtemps perçu comme un partenaire privilégié du monde occidental en Afrique Centrale, le Rwanda a vu sa notoriété se déprécier, en faveur d’un œil plutôt soutenu sur son rôle dans la perpétuation de la violation des droits humains, tant côté congolais [à travers le M23] qu’à l’égard des opposants politiques rwandais.
Alors que les relations venaient de se normaliser avec la France au début de l’année 2022, et qu’une coopération militaire venait d’être établie, le Rwanda a vu son image vite se ternir aux yeux d’un partenaire de dernière heure. Perçu comme potentiel ange gardien du pouvoir de Kigali, Paris a plutôt brillé par des propos réfractaires à l’égard du régime de Paul Kagame.
Au cours du mois de décembre 2022, des officiels français ont, dans d’innombrables sorties médiatiques, condamné « le soutien que le Rwanda apporte au groupe M23 ».
Ce changement de rhétorique, qui s’élargit à d’autres pays européens, a été déclenché par un message franc et sans détour du Prix Nobel congolais lors de son séjour à Rome, au début du mois de décembre, où il répondait à un rendez-vous avec le pape François.
« Le Congo est agressé, le Congo subit une invasion et aujourd’hui est occupé par les forces étrangères rwandaises associées aux terroristes du M23. Ce que nous demandons à la communauté internationale, c’est d’appliquer le droit international humanitaire qui demande à tous les États membres des Nations Unies de pouvoir respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale des autres Etats », confiait le célèbre gynécologue à la presse, le 5 décembre 2022.
Ceci faisait suite à sa déclaration du 1er décembre, où Denis Mukwege se disait scandalisé « d’apprendre que l’UE débloque 20 millions d’euros pour les RDF [armée rwandaise], une armée à la base de l’agression de la RDC, d’une crise humanitaire dramatique et auteure de graves violations des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire » !
Une alternative congolaise pour inverser la tendance diplomatique dans la région ?
Le nom du Dr Denis Mukwege est depuis quelques mois cité parmi les probables compétiteurs pour la magistrature suprême, aux élections prévues enfin de cette année 2023. S’il ne s’est jamais prononcé à ce sujet, le fondateur du célèbre hôpital de Panzi n’a jamais réfuté cette opinion, qui de plus en plus prend de l’ampleur dans l’écosystème politique du pays.
Si les détracteurs le Prix Nobel le trouvent trop proche du monde occidental, qu’ils le soupçonnent de jouer le jeu néocolonial, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité qu’offre son aura pour sortir la RDC de son éternelle panne de crédibilité sur le plan diplomatique. Son profil au sommet de l’Etat, n’offrirait-il pas au pays de Lumumba une occasion en or de se relever en face de ses voisins hostiles ?
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Un acteur politique, admirateur du gynécologue l’avait donné plus crédible à l’échelle internationale que l’ensemble de la classe politique congolaise, en déclarant : « la voix du Dr Mukwege, Prix Nobel de la Paix, est plus écoutée que celle du président de la République ».
Si les dignitaires du présent régime se méfient tous azimuts de sa conversion à la politique, il s’observe de plus en plus d’adhésions à son accompagnement, tant dans la classe politique que dans le milieu associatif.
Un danger pour le Rwanda ? Aussi en danger !
La sécurité de Dr. Denis Mukwege s’est vite vu renforcée par des éléments de la force onusienne en RDC (la MONUSCO), depuis 2014, quand il avait essuyé un attentat à l’arme à feu à son domicile. Depuis lors la lumière n’a pas été établie, mais rien n’exclut que le tumulte que crée sa lutte dans la région y soit pour quelque chose. A cette époque, au-delà des acteurs des groupes armés qu’il se mettait sur le dos, suite à ses dénonciations, le médecin de Panzi se voyait en désamour avec le régime de Joseph Kabila qui ne digérait pas la montée en flèche de sa notoriété.
Aucun indice n’incrimine certes le pouvoir rwandais dans cet attentat, mais la quiétude du Prix Nobel de la Paix est loin de faire les affaires du Rwanda. Au contraire, il a souvent été menacé de mort, toutes les fois qu’il prend position en défaveur du pays de mille collines.
Son combat pour l’exhumation du Rapport Mapping et ses prises de position risquées contre le régime de Kagame ne peuvent que détériorer sa relation avec le pouvoir de Kigali, réputé dans la région pour la perspicacité de ses services de renseignement et l’intransigeance de ses bras armés.
John Achiza