Accès Humanitaire

    Tribune de Marcel Kapitene, Notable de Bashu, Beni

    Dans ses communications à l’attention de la presse d’octobre à mi-novembre 2021, le porte-parole des FARDC dans le secteur opérationnel Sukola, a plusieurs fois fait mention d’éventuels conflits de succession dans les familles royales de Lubero et de Beni-rural, dans le Bashu notamment ; ce qui, à l’en croire, serait à la base de la résurgence des mouvements d’autodéfense composés d’autochtones et soupçonnés de collaborer avec les ADF. La question semble beaucoup plus complexe. Et cette simplification de la dynamique sécuritaire au Nord du Nord-Kivu, la réduisant à des conflits de succession, pourrait être un piège infernal contre la traque des forces négatives et porter un coup dur aux résultats attendus de l’État de siège dans cette partie de la RDC.

    Dans la nuit du 15 au 16 août 2021, l’un des gardiens de coutumes de la Chefferie de Bashu était abattu dans les environs de Mutendero, colline-sanctuaire abritant les sépultures royales et grottes d’intronisation des souverains des clans centraux du Bunande en territoire de Beni. Alors que la Société Civile et les pouvoir coutumier dans la région mentionnait une éventuelle attaque des ADF, l’armée, par l’entremise de son porte-parole en zone opérationnelle Sokola-Nord, indiquait plutôt que le meurtre aurait été causé par d’autres forces négatives, derrière lesquels opéreraient d’éventuels successeurs ou usurpateurs au trône du Bashu.

    Afin de tirer aux clairs ses affirmations, l’autorité coutumière de Bashu avait sollicité l’implication de l’autorité militaire établie au Nord-Kivu pour que des enquêtes soient faites, notamment dans la vraie identification des assaillants derrière les attaques d’août 2021 ; mais contribuer à la sécurisation des symboles du pouvoir en Beni-rural et à Lubero. 

    Dans la stupéfaction de plus d’un, les attaques se sont multipliées dans le Bashu et sur plusieurs entrées à l’Est de Butembo à la sortie du Graben en Beni-rural et tout autour de la réserve des gorilles de plaine de Kyabirimu. Pas plus tard que dans la nuit du vendredi 12 au samedi 13 novembre 2021, la localité de Kisunga et villages environnants ont été la cible des attaques meurtrières. Au total,  32 personnes ont péri, toutes des civiles, parmi lesquelles des agriculteurs décapités dans leurs champs, dans cette partie de Graben Bénicien, à la sortie-est de Butembo, dans la vallée de la Semliki. Selon les FARDC, une coalition des ADF et des groupes Maï-Maï Baraka et Léopards, serait à l’origine de ces tueries du Graben. Le porte-parole des FARDC en zone opérationnelle Sokola I Grand-Nord est revenu à la charge et a affirmé ce qui suit à presse locale et dans une séquence audio faisant le tour des réseaux sociaux: 

    « Dans la chefferie des Bashu, il n’y avait pas d’incursions. Il y a plutôt un problème de leadership sur le plan coutumier. Il y a deux ou trois familles qui se disputent la montagne appelée Sacrée [ndlr : Mutendero dans le groupement Isale-Bulambo]. Nous avons été là avec plusieurs délégations provinciales pour échanger avec les autorités. Mais, ils se règlent des comptes entre les familles. Chacune d’elles a toujours tendance d’aller créer son propre groupe armé pour aller causer des dégâts dans une autre famille. […] » avait-il affirmé.

    L’affirmer ainsi, c’est complexifier le puzzle : les groupes Maï-Maï Baraka et Léopards sont deux milices opposées, qui se sont plusieurs fois rendues aux FARDC avant et pendant l’Etat de siège.  Nombreux d’entre eux sont d’anciens miliciens des groupes Vurundo et d’autres supplétifs des milices Mazembe, UPLC, etc., venus des territoires de Walikale et de Lubero, regroupés par les FARDC autour de Beni-ville à Kalunguta dans le secteur Ruwenzori sur la route Beni-Butembo en vue de leur intégration dans le processus DDRRR.  Ils y ont fait défection faute de prise en charge et se sont dispersés pour la plupart dans le Graben Bénicien autour de Vurundo et de Vuvatsi à cheval entre les territoires de Beni et de Lubero. Ils se disputent actuellement le contrôle des passages agricoles dans le Graben.

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    Les raccourcis et simplifications dans la communication des FARDC selon lesquels les miliciens Baraka et Léopards seraient instrumentalisés par des factions se disputant le trône du Bashu semblent ne pas tenir la route. Non seulement il n’y a jamais eu conflit de succession dans le Bashu – la famille régnante est identifiée et identifiable, la dernière succession au trône remontant à plus de 10 ans et organisée par les gardiens de coutume dès la disparition du dernier souverain selon que l’exigent les traditions, mais surtout, marteler sur ce point, qui ne convainc personne, semble cacher des intentions malveillantes, et pourrait porter un coup de pied dans l’avancement des opérations Sokola et dans la traque des ADF et Maï-Maï sous Etat de siège dans cette région.

    Pire, la communication des FARDC répercutée sur plusieurs médias et tournée dans tous les sens comme marteler un certain angle précis, ne précisait pas que les forces vives locales avaient plusieurs fois alerté sur des mouvements suspects et d’éventuels rapprochements des milices Maï-Maï d’avec les ADF. Deux jours avant l’attaque de Kisunga et le massacre du Graben, un énième SOS avait lancé à l’autorité militaire par la Société Civile. L’incursion sur Kisunga est intervenue à minuit. L’alerte a de nouveau été donné aux FARDC vers une heure du matin. La première position FARDC est à 5km de Kisunga dans le Graben. Mais ceux-ci ne sont intervenu qu’au petit matin, alors que l’ennemi a librement opéré trois heures durant. Il n’y a eu riposte contre l’ennemi à Kihamange, à 5km de Kisunga. Pour torpiller les dénonciations des faibles réactivités, les FARDC ont à nouveau sorti la carte d’imaginaires conflits de successions.

    D’après des sources locales, il n’y aurait visiblement pas de conflit de succession à Beni rural tout comme à Lubero. Cependant, l’autorité militaire établie sous État de siège semble plutôt décidée à surfer sur des questionnables brèches, pour attiser les conflits au sein des familles régnantes du Bunande, déstabiliser l’autorité coutumière et assoir son ascendant à Beni-rural et Lubero, ainsi que dans ses deux enclaves urbaines de Beni-ville et de Butembo. Mais il se trompe de cible, puisque le problème n’est pas à ce niveau.

    Certes, les gens sont respectueux des coutumiers, mais ils sont aussi très respectueux de l’administration publique et des lois de la République. La population de Beni, lassée des multiples incursions meurtrières, s’est toujours montrée collaborative avec les autorités militaires établies dans l’administration provinciale et locale, avec les forces de l’ordre et de sécurité ainsi qu’avec les services publics, quoique celles-ci s’affichent de plus en plus enclins à se mêler des petites banalités et d’autres faux problèmes ne relevant de leurs compétences, notamment la réorganisation forcée de l’administration coutumière.

    Il ne revient pas à l’autorité administrative de se mêler des affaires coutumières, tant que celles-ci ne portent atteinte aux lois de la République, au vivre ensemble, à la sécurité et à la bonne gouvernance. Le faire n’est qu’excès de zèle, de compétence et de pouvoir ; mais surtout un abus à même de provoquer d’autres conflits pourtant évitables. Et c’est ce dans quoi est vautré l’autorité militaire nommée dans l’administration de l’ Etat de siège au Nord du Nord-Kivu : après avoir défait de force et remplacé les autorités coutumières des Chefferies des Bamate, de Batangi et du Groupement Tama en territoire de Lubero, les autorités militaires nommées au Nord-Kivu semblent se retourner finalement contre l’administration coutumière en territoire de Beni, les royautés centrales du Bunande dans le Bashu en tête de liste. Le chef de Groupement Mbulye en territoire de Lubero subirait aussi des menaces et serait sur une chaise éjectable, à en croire des sources locales. Pour les Bashu, les autorités militaires dans la territoriale ont réussi à sortir de leurs chapeaux un certain Osias, qu’ils présentent comme protagoniste au Mwami des Basukali, à la grande stupéfaction des gardiens de coutume.

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    Les excès de zèle ainsi mentionnés ne favorisent pas la collaboration entre autorités coutumières et administrateurs militaires d’une part, et entre population civile et militaire d’autre part.

    Visiblement, l’autorité militaire établie en régime d’exception dans l’administration territoriale du Nord-Kivu semble ne pas comprendre grand-chose de la sociologie et de l’organisation des pouvoirs coutumiers dans la région. L’espace rural de Beni et de Lubero est composé des chefferies de Bashu, de Watalinga, de Bamate, de Baswagha, de Batangi et des secteurs de Beni-Mbau, de Ruwenzori et de Bapere. Contrairement aux secteurs, les chefferies ne sont pas des entités administratives. Les chefs de secteurs ne sont pas non plus des Bami. Les chefferies sont des monarchies de fait, sous l’autorité coutumière des Bami. Les Bami ne sont revêtues que des pouvoirs coutumiers. Et dans une monarchie de fait ou de droit, le monarque n’est pas nommé mais il l’est par le sang.

    Tous les secteurs sont d’anciennes chefferies mais aucune chefferie n’est aujourd’hui vouée à devenir un secteur, sauf modification explicite de la loi. Quoi qu’il soit arrivé dans les dix dernières années que les actuels secteurs de Bapere, de Ruwenzori et de Beni-Mbau (ancienne Collectivité-Chefferie de Batangi-Mbau) aient pour Chefs de Secteurs des fonctionnaires issus des lignées de Bami, il ne revient pas à ces jours à l’autorité militaire de revoir tout le système et d’imposer des statuts de secteurs à des monarchies locales. Cela n’a rien à voir avec les missions assignées à l’Etat de siège et ne relève pas des compétences de l’autorité provinciale, au risque d’attiser des conflits.

    Il est encore possible de rester concentré sur l’essentiel, de communiquer vrai. C’est pour le bien de tous et la République s’en sortira gagnante. Rien ne vaut la peine d’essayer de surfer sur des fausses, au risque de mettre en mal les efforts déjà consentis.

    « Le problème, en matière de défense, est de savoir jusqu’où vous pouvez aller sans détruire de l’intérieur ce que vous vous efforcez de défendre de l’extérieur. »  – Dwight Eisenhower

    Dans l’opinion publique à Beni et à Lubero, il y a de plus en plus cette impression que les autorités militaires essayeraient de transposer les conflits sur le terrain coutumier, dans l’optique de tirer en longueur l’Etat de siège. Il est dans l’intérêt de nous tous de préserver ce qui peut encore l’être, mais surtout de maintenir la collaboration entre la population civile et militaire. L’armée ne devrait pas fournir un effort de se faire détester par la population qu’elle a pour mission de protéger de sécuriser. Ce serait faire indirectement le jeu de l’ennemi.

    Il ne faut surtout pas donner l’impression que le pouvoir coutumier est menacé Ce serait donner du crédit à ceux qui pensent que la mise en place de l’Etat de siège n’est qu’un stratagème pour accélérer l’accaparement des terres et la supplantation des pouvoirs coutumiers, des ordres ancestraux établis et la substitution des populations locales par d’autres. Restons concentrés. Entretenons la confiance.

    Marcel Kapitene, Notable de Bashu

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