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    Le Professeur Luc Henkinbrant a réagi à l’appel lancé au Docteur Denis Mukwege, de se porter candidat à la prochaine élection présidentielle prévue en décembre 2023 en RDC. Pour lui, le Prix Nobel de la Paix n’a pas dit non, et n’a pas non plus dit Oui. Dans cette tribune que vous propose Laprunellerdc.info, le Professeur Henkinbrant estime que Denis Mukwege a dit « Oui, Si… », car il a posé des préalables.

    Mukwege candidat ? OUI ! Si …

    Depuis la publication du calendrier électoral par la CENI, fixant la date des élections au 20 décembre 2023, les appels se font plus pressants pour encourager le Prix Nobel de la Paix à briguer la magistrature suprême. Le Dr. Mukwege n’a pas dit NON. Il n’a pas dit OUI. Il a dit OUI, SI …

    Une réponse affirmative au conditionnel

    Dans une interview accordée au média en ligne Actualite.cd le 14 décembre 2022, le toujours potentiel candidat a déclaré ceci :

    « C’est le peuple qui doit choisir à tous les niveaux des personnes qui doivent prendre la responsabilité de leur destin.  Ils ont commencé par cet appel (il évoque l’Appel du 30 juin lancé par un groupe d’intellectuels, ndlr), je les encourage à trouver dans leurs communautés des hommes et des femmes capables de prendre des responsabilités à tous les niveaux. Parce que ce n’est pas seulement au niveau de la présidence qu’il faut changer les choses, il faut changer les choses à tous les niveaux »

    « Nous sommes à notre 4ème cycle électoral , qu’est-ce qui se passe ? On élit le président et le parlement et on oublie qu’il y a des communes, qu’il y a aussi des territoires, etc. et du coup vous comprenez très bien que lorsqu’on a élu le président les gens oublient complètement que la vie se passe au niveau de la base et que c’est au niveau de la base qu’il faut commencer à construire. Et moi ce que je dis à tous ceux-là qui m’appellent : écoutez, construisez de la base vers le sommet »

    « Toutes ces questions-là je ne peux pas les discuter tant que le mécanisme de la prise de pouvoir par le peuple n’est pas fait. Si le peuple prend conscience et s’organise, à ce moment-là, je peux considérer son appel, qu’ils ont compris ma réponse, et qu’ils agissent dans le sens de ma réponse , c’est très clair, je pourrais commencer à considérer leur appel… »

    « Je crois que je vous parle d’une révolution démocratique, c’est-à-dire qu’à un moment, lorsque le peuple a pris sa décision, vous pouvez essayer de tricher mais vous ne pouvez pas tricher lorsque le peuple sait ce qu’il veut et exige que sa volonté soit respectée. On voit toutes les préparations qui sont faites pour tricher, mais la meilleure façon de lutter contre toutes ces fraudes qui se préparent, c’est que le peuple prenne conscience et si le peuple prend conscience, vous pouvez mettre tous les mesures de fraude, mais vous n’allez pas bloquer cette volonté populaire »

    Appel au peuple ou à la Société Civile ?

    A lire ces extraits de l’interview, l’on s’aperçoit que le Dr. Mukwege parle à sept reprises du « peuple » : « SI le peuple s’organise … je peux considérer son appel », « Si le peuple prend conscience, vous pouvez essayer de tricher mais vous ne pouvez pas tricher ». En d’autres mots, le Prix Nobel conditionne le dépôt de sa candidature à la présidence et un succès électoral, obtenu malgré les tentatives de tricherie et de fraude, à la prise de conscience et à l’organisation du peuple.

    Mais le Dr. Mukwege formule-t-il vraiment ces conditions à l’intention du peuple, une entité plutôt vague, informelle et indéfinie ? Ou les adresse-t-il en réalité au « peuple organisé » au travers des organisations et composantes de la société civile congolaises, en tant que moyen d’expression ou courroie de transmission des besoins, des demandes, des aspirations de ce peuple ?  La réponse ne fait aucun doute. C’est à la société civile organisée que le Dr. Mukwege renvoie son appel et conditionne sa réponse positive à la réalisation de deux conditions.

    Condition 1 : « Trouver dans leurs communautés des hommes et des femmes capables de prendre des responsabilités à tous les niveaux »

    Le possible candidat Mukwege n’est pas naïf. Il ne veut pas amener le peuple à croire en « l’homme providentiel », en « l’homme fort », au « sauveur de la patrie », au « messie » et il se refuse à nourrir l’illusion que sa seule accession à la magistrature suprême aurait le pouvoir miraculeux de remplacer un passé de mauvaise gouvernance, d’injustice, de guerre par un avenir radieux de bonne gouvernance, de justice et de paix. Il sait que sans des assemblées législatives, nationale, provinciales, et aussi locales, élues et acquises aux changements et réformes proposés par le candidat, presqu’aucun changement ne pourra être obtenu puisque les réformes seront bloquées par des assemblées législatives (Parlement, Assemblées provinciales, Conseils élus des entités territoriales décentralisées (ETD) communes, secteurs, chefferies) acquises à « l’ancien régime » et au mode prédateur de gouvernance.

    C’est pourquoi le Dr Mukwege renvoie la balle à ceux qui l’appellent à poser sa candidature à la présidence et leur demande de « trouver dans leurs communautés des hommes et des femmes capables de prendre des responsabilités à tous les niveaux », c’est-à-dire des candidats et des candidates aux niveaux local, provincial, national. Et donc de construire un mouvement social et politique porteur du projet de société et du programme gouvernemental du candidat à la présidence et capable de gagner les élections à tous les niveaux pour obtenir des majorités à même  de « changer les choses à tous les niveaux » et de mettre en application ce projet de société et ce programme.

    Attention danger : « ventriotisme » !

    Le Dr. Mukwege n’évoque pas dans son interview un grand danger : qu’un mouvement social et politique porteur de sa candidature, quel que soit son nom, ne présente pas de garanties suffisantes d’un changement radical de la gouvernance. Il ne suffit pas, en effet, de remplacer une ancienne « classe politique » par une « nouvelle » qui risquerait de reproduire les mauvaises pratiques de ses prédécesseurs. Il faut garantir de « faire la politique autrement » non plus à travers des politiciens « professionnels », de métier, carriéristes, soucieux de leur enrichissement et de leurs intérêts personnels mais bien à travers des hommes et des femmes, réellement soucieux-euses de l’intérêt général et du bien commun. Et qui acceptent de se mettre, pour une durée limitée, au service de la population en exerçant un mandat politique de manière radicalement différente.

    Il faut donc éviter les candidatures autoproclamées d’hommes se réclamant du Dr. Mukwege mais mus uniquemen par des ambitions personnelles, de « ventriotes » se précipitant vers la mangeoire, de « vagabonds politiques » ou de « rats » qui, sentant le vent tourner, quittent le navire  de l’ « Union sucrée », etc. En découle un autre danger : plusieurs plateformes et mouvements citoyens qui soutiennent  la candidature du Dr Mukwege (Appel Patriotique (AP), Synergie des Amis des valeurs du Dr.Mukwege (SAM), Nouveau Congo, etc.) lancent de plus en plus vers leur public des appels à « postuler à tous les niveaux » et donc à se porter candidats aux élections législatives nationales, aux provinciales, aux communales. Le risque est grand de se retrouver dans des circonscriptions avec 2-3 candidats s’autoproclamant « mukwegistes » engendrant la confusion, la dispersion des voix et la défaite. Sans concertation et entente entre toutes ces plateformes sur un mécanisme d’émergence de candidatures valables d’hommes et de femmes, on court droit non seulement au chaos mais aussi au KO électoral.

    Il faut donc imaginer et mettre en place rapidement un système qui permette, comme le demande le Dr. Mukwege,  de « trouver dans leurs communautés des hommes et des femmes capables de prendre des responsabilités à tous les niveaux » et de faire émerger ceux et celles qui sont susceptibles de mettre en œuvre la « révolution démocratique », de porter le mieux les aspirations de la population et de respecter, une fois élus, des règles et principes novateurs de bonne gouvernance effective. (Dans cet esprit, les candidatures de ceux et celles ayant été associé.e.s aux gouvernances prédatrices du passé devraient être écartées)

    A titre exemplatif et non exhaustif, les candidatures de ce mouvement ou de ce nouveau parti/regroupement politique aux élections nationales, provinciales, locales devraient répondre aux conditions et critères suivants :

    Elles devraient respecter strictement le principe de parité H/F.

    Les élu.e.s devraient s’engager, avant leur désignation comme candidat.e.s,  à ne prester qu’un ou deux mandats de 5 ans maximum, afin d’éviter de se transformer en hommes et femmes politiques professionnels préoccupés essentiellement par leur carrière.

    Ils et elles devraient s’engager, une fois élu.e.s, à voter la réduction de leurs émoluments aujourd’hui scandaleusement exorbitants.

    Pour être choisi.e.s comme candidat.e.s du Mouvement aux élections, ils et elles devraient, avant leur désignation, déposer une déclaration écrite de leur patrimoine familial afin d’éviter toute tentation et risque d’enrichissement personnel .

    Ils et elles devraient suivre un programme de formation intensive axé sur le renforcement des capacités des candidat.e.s aux diverses élections  ainsi que sur les compétences à acquérir pour exercer valablement un mandat électif au niveau national, provincial ou local.

    Ils et elles devraient s’engager à se soumettre régulièrement à différents mécanismes de redevabilité (à préciser) en vue de rendre compte, à la population et à leurs électeurs-trices, de l’exercice de leur mandat.

    Etc.

    La grande question est de savoir si les organisations de la société civile, les plateformes ou mouvements « supporteurs » de la candidature du Dr. Mukwege auront non seulement la capacité mais aussi  et surtout la volonté de mettre en place un tel mécanisme ou processus d’émergence de bonnes candidatures d’ hommes et de femmes capables non seulement de prendre des responsabilités à tous les niveaux mais aussi de rallier les suffrages des électeurs-trices et surtout de « faire la politique autrement ».

    Condition 2 :  « lutter contre toutes ces fraudes qui se préparent »

    L’interview du Dr. Mukwege (ainsi qu’une récente Déclaration commune de personnalités politiques et de la société civile) exprime sa grande crainte que ce 4ème cycle électoral ne soit ni démocratique, ni transparent, ni apaisé et reproduise la fraude électorale de 2018 organisée par la CENI et validée par la Cour constitutionnelle. Ce qui peut faire craindre une nouvelle escalade des conflits et, en temps d’élections, une intensification des violences et des contestations électorales, aussi bien avant, pendant et après les scrutins. Si la fraude électorale de 2018 se reproduit en 2023, ou plus tard en cas de « glissement », la victoire du candidat Mukwege risque fort de lui être volée (par la falsification du scrutin lors de la compilation numérique des résultats transmis via les « machines à voter » ).

    Ici aussi, le Prix Nobel déclare que «  la meilleure façon de lutter contre toutes ces fraudes qui se préparent, c’est que le peuple prenne conscience ». Mais cela ne suffit évidemment pas. Cette prise de conscience populaire doit se traduire par la mise en place, dès à présent, par les OSC d’un système efficace d’Observation précoce du processus électoral par un réseau d’observation citoyenne des élections  et d’ un système de « comptage parallèle des résultats » le jour des scrutins . 

    Ici aussi, la grande question est de savoir si les OSC ou mouvements supporteurs de la candidature du Dr. Mukwege auront la capacité et aussi la volonté de mettre en place un tel mécanisme de monitoring citoyen du processus électoral.

    Conditions 3, 4, 5, etc.

    En plus des deux « conditions » évoquées ci-dessus par le Dr. Mukwege et des prérequis indispensables avant de se déclarer candidat, le Dr. Mukwege aurait pu en ajouter quelques autres.

    Condition 3 : Le candidat à la présidence et les autres candidat.e.s du Mouvement disposent d’un programme de gouvernement et s’engagent solennellement à adopter dès leur entrée en fonction des mesures emblématiques garantissant un changement radical de la gouvernance du pays. A titre exemplatif et non exhaustif : La mise en place d’un gouvernement national et de gouvernements provinciaux respectant la parité H/F 50/50 ; L’introduction pour les élections, nationales, provinciales et locales de 2028 d’un système de candidatures en binômes ou duos homme/femme  ; L’instauration de dispositifs institutionnels de démocratie participative au côté des assemblées élues : le jury citoyen, le budget participatif, les assemblées ou conventions citoyennes, etc.  ;

    Condition 4 : Le financement de(s) campagne(s) électorale(s) du et des candidat.e.s  répond à des règles garantissant la transparence, l’intégrité des campagnes et le bannissement des mauvaises pratiques bien connues d’achat des consciences.

    Condition 5 : Les OSC contribuent activement à la mise en œuvre d’un système comprenant à la fois un monitoring des violences électorales (y compris celles qui pourraient être exercées à l’encontre du et des candidat.e.s) et un mécanisme de prévention et de réponse rapide auxdites violences (voir les recommandations formulées dans une étude publiée par le PNUD ).

    Conclusion

    Dans les deux hypothèses, respect du délai constitutionnel ou glissement, il est grand temps pour les acteurs de la société civile de ne plus s’essouffler dans des appels répétés au Dr. Mukwege l’invitant à présenter sa candidature et de plutôt dépenser leurs énergies à remplir les conditions énumérées plus haut et à mettre en œuvre des solutions aux problèmes, limitant ainsi les risques et les dangers de ce 4ème cycle électoral. C’est évidemment beaucoup plus « énergivore » et constitue un véritable défi pour les organisations de la société civile congolaise.

    Prof Luc Henkinbrant (alias Don Quichotte)

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